AI Action Summit : l’IA au service de la recherche pour résoudre l’insoluble

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Publié le 12 février 2025
Ces 10 et 11 février 2025, la France accueillait l’Artificial Intelligence (AI) Action Summit au Grand Palais à Paris, réunissant chefs d’État et de gouvernement, dirigeants d’organisations internationales, entrepreneurs, chercheurs, artistes et membres de la société civile. Cet événement mondial a mis en lumière les avancées de l’IA et les enjeux qu’elle soulève, tant sur le plan scientifique qu’éthique et sociétal.
Mines Paris – PSL s’inscrit pleinement dans cette dynamique en intégrant l’IA au cœur de sa recherche scientifique. L’IA permet aujourd’hui de résoudre des problèmes autrefois inaccessibles, notamment grâce au concept du problème inverse. Ce principe, qui consiste à remonter des effets aux causes, interroge des champs aussi variés que la médecine de précision, l’ingénierie des matériaux ou encore l’imagerie géophysique.
Elie Hachem, spécialiste en développement de méthodes numériques avancées et directeur du Centre de mise en forme des matériaux (Cemef), ainsi que Hervé Chauris, spécialiste en géophysique au Centre de Géosciences, et Thomas Walter, spécialiste de l’analyse d’images biomédicales au Centre de Bio-informatique (CBIO), tous trois enseignants-chercheurs à Mines Paris – PSL, portent des innovations majeures, montrant comment l’IA permet de repousser les limites de la connaissance et de la prédiction, de façon transdisciplinaire et à toutes les échelles de la recherche.

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Le problème inverse : un levier propre à la recherche de Mines Paris – PSL

Le problème inverse est un concept fondamental en science et en ingénierie : au lieu de prédire des effets à partir de causes connues, il consiste à remonter des effets observés aux causes sous-jacentes. Cette approche est particulièrement précieuse dans des contextes où les causes ne peuvent être mesurées directement et où les modèles physiques classiques montrent leurs limites. L’IA, en particulier le machine learning (ML) ou « apprentissage machine », joue ici un rôle central en affinant les modèles et en explorant des espaces de solutions autrement inaccessibles.

Cette synergie entre IA et problème inverse est très présente au sein des projets de recherche menés par Mines Paris – PSL, cette approche se retrouvant dans des applications concrètes de disciplines très diverses, ici présentées au travers de trois exemples, depuis l’échelle millimétrique jusqu’à l’échelle kilométrique.

 

IA et médecine de précision : comprendre pour mieux soigner

En oncologie, la médecine de précision vise à proposer à chaque patient un traitement adapté aux caractéristiques spécifiques de sa tumeur. Cette stratégie repose donc sur notre capacité de prédire l’évolution d’une maladie et l’efficacité d’un traitement en intégrant des données hétérogènes telles que le séquençage génomique, l’imagerie médicale et l’expression des gènes.

Le CBIO fait ici intervenir l’IA pour résoudre un problème inverse fondamental : à partir des résultats des traitements administrés et des profils biologiques des patients, il s’agit de déterminer quels sont les facteurs prédictifs de la réponse au traitement. Ce travail ne se limite donc pas à proposer une boite noire pour faire des prédictions, mais vise à révéler des mécanismes biologiques sous-jacents encore inconnus.

Par exemple, dans la prédiction d’un défaut dans le mécanisme naturel de réparation de l’ADN appelé recombinaison homologue (HRD) – un facteur clé dans l’efficacité de certains traitements anticancéreux, tels que les inhibiteurs de PARP – les chercheurs du CBIO, en collaboration avec des équipes de l’Institut Curie, ont démontré que des modèles d’IA appliqués à l’analyse d’images de coupes tumorales, ou « imagerie anatomopathologique », peuvent identifier des indices visuels associés à ce défaut. Ces avancées ouvrent de nouvelles perspectives pour des diagnostics plus rapides et des traitements plus ciblés. Des projets de recherche complémentaires, menés en collaboration avec l’IHU « Cancers des femmes » de l’Institut Curie et le CHU de Nantes, sont en cours.

Figure – Motifs morphologiques sous-jacents à la déficience de la recombinaison homologue, identifiés par l’Intelligence Artificielle

 

Apprentissage par renforcement et optimisation des panneaux photovoltaïques

Dans le domaine de l’énergie solaire, la résilience des installations face aux conditions climatiques extrêmes est un défi majeur. Traditionnellement, les panneaux solaires sont équipés de systèmes de suivi qui ajustent leur orientation en fonction de la position du soleil. Cependant, en cas de vents violents, ces systèmes adoptent une posture de sécurité prédéfinie qui ne garantit pas une protection optimale.

Elie Hachem et le Cemef de Mines Paris – PSL ont mis au point une solution innovante combinant la simulation numérique des mouvements de l’air et des liquides, appelée « dynamique des fluides computationnelle » (CFD) et apprentissage par renforcement, une technique d’IA qui apprenant par essais et erreurs à prendre les meilleures décisions. L’objectif est d’optimiser en temps réel l’orientation des panneaux en réponse aux rafales de vent.

En intégrant les équations de Navier-Stokes, des équations mathématiques fondamentales qui décrivent précisément comment les fluides comme l’air s’écoulent et exercent des forces, aux algorithmes d’apprentissage, les panneaux solaires deviennent des entités autonomes capables d’anticiper l’impact du vent et d’ajuster leur inclinaison en conséquence. Ce couplage entre IA et modélisation physique illustre parfaitement l’approche du problème inverse : en analysant les effets du vent sur les panneaux, l’algorithme apprend progressivement les configurations optimales garantissant à la fois leur protection et un rendement énergétique maximal.

Une réplique numérique de la centrale solaire appelée « jumeau numérique », conçue comme une copie virtuelle de l’installation physique, a également été développée pour tester ces stratégies avant leur mise en œuvre réelle. Ce modèle informatique, relié à des capteurs, permet de simuler en temps réel les performances de la centrale et d’ajuster les paramètres de contrôle de manière anticipée.

IA qui propose différentes orientations des panneaux en réponse aux rafales de vent.

 

IA et imagerie sismique : cartographier le sous-sol invisible

Dans un contexte de transition énergétique et de gestion des risques géologiques, il est essentiel de caractériser précisément le sous-sol, que ce soit pour surveiller l’évolution des réserves souterraines ou anticiper les phénomènes naturels comme les glissements de terrain.

Les méthodes de prospection sismique reposent sur l’émission d’ondes qui, en se propageant dans le sol, interagissent avec ses différentes couches avant d’être pour partie captées en surface. L’un des défis majeurs de cette approche réside dans l’interprétation des signaux enregistrés : comment remonter à la structure interne du sous-sol à partir de ces observations indirectes ?

Hervé Chauris ainsi que Nicolas Desassis, enseignant-chercheur, et Yuke Xie, doctorant, tous les trois au Centre de Géosciences de Mines Paris – PSL, ont recours à des réseaux neuronaux pour affiner ces modèles et estimer les incertitudes associées. L’approche probabiliste adoptée permet de générer non pas une unique image du sous-sol, mais un ensemble de scénarios plausibles intégrant les contraintes physiques et géologiques. Cette méthodologie garantit une modélisation plus fiable et plus précise, essentielle pour des applications comme le stockage du CO2 ou l’exploitation des ressources géothermiques.

Fig. 1 – Application sur données synthétiques. (a) Champ de vitesse exact, (b) moyenne initiale sur les champs du prior, (c) moyenne sur le posterior et (d) déviations standard (d’après Xie et al., 2024).

Un changement de paradigme

L’IA dépasse largement le cadre d’une révolution industrielle et technologique. Elle transforme en profondeur notre rapport à la connaissance, au travail, à l’information, à la culture et même au langage. Son développement, aux implications transnationales, appelle un dialogue international approfondi, mobilisant gouvernements, chercheurs, entreprises et citoyens, afin d’élaborer des solutions et standards collaboratifs pour une IA au service de la société de demain.

L’IA appliquée à la recherche scientifique ne se limite pas à un outil d’accélération des calculs : elle permet d’aborder des problèmes d’une complexité inédite et de produire des résultats auparavant inaccessibles. En combinant IA et problèmes inverses, Mines Paris – PSL ouvre la voie à une nouvelle génération de découvertes scientifiques et technologiques, où la compréhension fine des mécanismes sous-jacents devient un moteur d’innovation.

À l’avenir, ces approches pourraient s’étendre à d’autres disciplines, de la physique des matériaux à la biologie, consolidant ainsi la place de l’IA comme levier de transformation dans la recherche scientifique.

 


Pour aller plus loin :

Michel, A. Ansaldi, J. Viquerat, P. Meliga, E. Hachem. Combining machine learning and computational fluid dynamics for solar panel tilt angle optimization in extreme winds. Physics of Fluids, 2024, 36 (12), ⟨10.1063/5.0233709⟩. ⟨hal-04844403⟩ https://cnrs.hal.science/ENSMP_CEMEF/hal-04844403v1

Tristan Lazard, Guillaume Bataillon, Peter Naylor, Tatiana Popova, François-Clément Bidard, et al.. Deep learning identifies morphological patterns of homologous recombination deficiency in luminal breast cancers from whole slide images. Cell Reports Medicine, 2022, 3 (12), pp.100872. ⟨10.1016/j.xcrm.2022.100872⟩. ⟨hal-03936608⟩
https://minesparis-psl.hal.science/ENSMP_CBIO/hal-03936608v1

Xie, Chauris, H. and Desassis, N., 2024, Stochastic full waveform inversion with deep generative priori for uncertainty quantification, https://arxiv.org/abs/2406.04859.

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