Pourquoi le contexte façonne l’innovation entrepreneuriale ? Analyse des écosystèmes d’innovation

La littérature académique en entrepreneuriat est focalisée sur l’individu, l’équipe et l’entreprise qui en résulte. En effet, les auteurs de l’article partent du constat que, à l’exception de quelques études précoces, la grande majorité des travaux n’ont pas porté une grande attention au « contexte » dans lequel l’action entrepreneuriale a lieu.
Pourtant, ce contexte joue un rôle important dans la stimulation, l’ampleur, la diversité et la régulation de l’activité entrepreneuriale, ainsi que sur ses résultats en termes de types d’innovation produites et de performances des nouvelles entreprises. Autrement dit, les auteurs font le constat que l’innovation entrepreneuriale n’est pas uniquement une affaire d’individus talentueux ou de bonnes idées, elle est grandement influencée par le contexte dans lequel elle s’inscrit.
L’objectif de leur article est de combler cette lacune en proposant, d’une part, un cadre organisationnel pour comprendre les influences contextuelles sur l’innovation entrepreneuriale et, d’autre part, un programme de recherche sur ce thème.
Ce qu’ils qualifient ici de contexte est un objet à décomposer et à étudier. Et le cœur de leur article propose une typologie en six contextes ou dimensions qui stimulent ou freinent l’activité entrepreneuriale :
Certaines phases du cycle de vie d’une industrie – souvent les premières – sont marquées par une activité entrepreneuriale plus élevée que d’autres. Tout comme les attributs architecturaux d’une technologie facilitent ou limitent les activités innovantes des acteurs qui l’utilisent.
Le contexte organisationnel rend compte des influences de la culture organisationnelle, des pratiques, de l’expérience, des connaissances et des compétences des futurs fondateurs sur l’innovation entrepreneuriale. Ainsi, des éléments tels que les compétences, l’emploi précédent, les incitations existantes ou la disponibilité de financement ont une forte influence, à la fois sur l’entrée des personnes dans l’entrepreneuriat, et sur le type d’innovation qu’elles produisent.
Des institutions telles que les règles de propriété intellectuelle, l’État de droit, les règles de la concurrence, etc. influencent les coûts d’opportunité de création d’une entreprise. Des régions qui disposent de réseaux de soutien à l’entrepreneuriat rendent la création d’entreprises plus facile. D’autres institutions plus informelles influencent également l’activité entrepreneuriale à travers des normes sociales et culturelles, des perceptions de légitimité ou de désirabilité.
Les réseaux entre entrepreneurs, partenaires commerciaux, financiers et entreprises en place influencent l’entrepreneuriat et sa nature. Les interactions et les échanges entre des acteurs hétérogènes aux connaissances variées sont essentielles à la production de nouvelles connaissances et donc à l’innovation entrepreneuriale. Ces réseaux comprennent les entrepreneurs, leurs clients, tous les acteurs aux actifs complémentaires et ceux des forums institutionnels. À chacun de ces contextes s’ajoutent des dimensions temporelles et spatiales.
Les industries, les contextes organisationnels et institutionnels sont marqués par une forte dimension temporelle. Ainsi les industries, lois et réglementations évoluent au fil du temps. Les écosystèmes entrepreneuriaux changent également, de nouveaux clusters se créent. Des entrepreneurs prospères qui apportent leur capital, leur réseau et leur expérience créent des boucles de rétroaction qui peuvent faciliter une dynamique entrepreneuriale.
La dimension spatiale de l’entrepreneuriat concerne la localisation géographique des nouvelles entreprises (répartition mondiale, nationale ou régionale) et des institutions qui les soutiennent. Cette dimension peut inclure la mobilité des entrepreneurs innovants vers des zones géographiques où les réglementations, les lois, les réseaux… semblent plus favorables à l’entrepreneuriat innovant.
Loin de les découper au scalpel, les auteurs montrent que ces contextes interagissent : ils ne sont pas indépendants mais forment un tout, un cadre multidimensionnel, parfois cohérent ou parfois fragmenté, qui influence les trajectoires d’innovation. Ils considèrent que l’interaction entre les variations de ces éléments contextuels et les entrepreneurs constitue différents écosystèmes entrepreneuriaux qui génèrent différents types d’innovation.
Les auteurs proposent alors un programme de recherche basé sur ces six dimensions, programme qui met en relation les différents contextes et l’innovation entrepreneuriale. Parmi les nombreuses questions qu’ils soulèvent on peut noter :
Enfin, les auteurs de l’article montrent que depuis les années 1990, les décideurs politiques, dans de nombreux pays dont la France, ont mis en place des politiques et des outils visant à créer un environnement plus propice à l’innovation entrepreneuriale. Ils rappellent les nombreux objectifs, mesures et instruments développés pour les pouvoirs publics pour par exemple influencer le nombre d’entreprises créées ou favoriser la création d’entreprises axées sur la croissance et l’innovation.
Enfin, ils suggèrent qu’une politique qui vise à favoriser un aspect particulier de l’innovation entrepreneuriale nécessite une combinaison spécifique d’instruments pour une combinaison particulière de contextes. En d’autres termes, une « combinaison de contextes » nécessite une « combinaison de politiques ». Une telle approche exige une évaluation plus fine de l’efficacité des instruments politiques. Il est clair que cette vision rend la tâche des décideurs politiques plus difficile, mais elle peut, en retour, contribuer à une politique plus efficace.
« Douze ans après l’écriture de cet article, la littérature sur les écosystèmes entrepreneuriaux s’est considérablement développée (à ne pas confondre avec celle sur les écosystèmes d’entreprise, d’une quinzaine d’années plus ancienne). À l’époque, le domaine était encore émergent et seulement quelques rares papiers contenant l’expression « écosystème entrepreneurial » dans le titre ou les mots clés avaient été publiés. Rappelons que le premier article qui popularise cette notion est celui de Daniel Isenberg, professeur de pratique entrepreneuriale au Babson College Executive Education, et date de 2010.
Aujourd’hui, les écosystèmes entrepreneuriaux sont l’un des thèmes de la recherche en entrepreneuriat les plus étudiés et les plus prolifiques. Notre article est arrivé au kairos, mot qui signifie en grec « moment propice », c’est-à-dire au moment opportun, ni trop tard, ni trop tôt. À l’époque où commençait à se diffuser l’expression « écosystème entrepreneurial », ce papier proposait à la fois un cadre conceptuel, et des questions de recherche qui ont pu être reprises – et qui restent utilisées – par des centaines de collègues à travers le monde. Ces 2000 citations font partie des petits plaisirs du chercheur. C’est très gratifiant de voir que nos travaux – qui ont participé à l’ouverture d’un nouveau programme de recherche – sont non seulement cités, mais aussi repris par tant de collègues à travers le monde. »
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