IA et géostatistique pour les risques climatiques : 3 questions à Thomas Romary et Denis Allard pour les 2 ans de la chaire Geolearning

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Publié le 15 avril 2025

Lancée en 2023, la chaire Geolearning, portée par le Centre de Géosciences de Mines Paris – PSL en partenariat avec l’unité Biostatistique et Processus Spatiaux (BioSP) de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), développe des outils d’analyse avancés pour mieux modéliser et analyser les phénomènes naturels tels que les événements climatiques extrêmes ou le suivi environnemental. La chaire s’appuie sur une approche interdisciplinaire combinant géostatistique, apprentissage automatique et modélisation des événements extrêmes pour mieux quantifier la fréquence et la magnitude de ces risques. Financée par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), la BNP-Paribas, la Caisse centrale de réassurance (CCR) et la Fondation d’entreprise SCOR pour la Science, elle fournit aux décideurs des méthodologies mobilisant les avancées théoriques les plus récentes dans ces trois domaines. Deux ans après son inauguration, nous faisons le point avec Thomas Romary, professeur à Mines Paris – PSL, et Denis Allard, directeur de recherche à INRAE, sur les avancées réalisées et les perspectives pour 2025.

  1. Pourquoi l’étude des événements climatiques extrêmes est-elle cruciale aujourd’hui ?

  • Thomas Romary : « Il est établi scientifiquement que le changement climatique entraîne une hausse de la fréquence et de la magnitude des événements extrêmes. Nous avons tous à l’esprit des événements récents comme les inondations catastrophiques à Valence en octobre 2024, le cyclone Chido qui a ravagé Mayotte en décembre 2024 ou encore les mégafeux de Los Angeles en janvier dernier. Il est donc crucial de développer des outils statistiques pour caractériser ces événements, notamment l’évolution de leur probabilité d’occurrence en tenant compte des scénarios établis par les modèles climatiques globaux. »
  • Denis Allard : « Dans le cadre du changement climatique, la modélisation statistique et les techniques d’apprentissage automatique sont appelés à jouer un rôle de plus en plus important pour la quantification des risques climatiques et l’étude des scénarios d’adaptation, en lien avec le Plan National d’Adaptation Au Changement Climatique (PNACC). Parmi les outils sur lesquels nous travaillons, citons en particulier les outils de simulation génératives qui permettent de simuler des trajectoires plausibles d’événements climatiques futurs. Nous développons des générateurs stochastiques pour simuler des séries de plusieurs variables du temps ou encore des générateurs de précipitations extrêmes, en mobilisant les avancées les plus récentes en statistiques et en apprentissage profond. Nous participons nous-même à ces avancées, car nous nous situons sur le front de science dans ces domaines. »

 

Quels outils et méthodologies développez-vous pour mieux comprendre et anticiper ces phénomènes ?

  • Thomas Romary : « Ces phénomènes se déploient dans l’espace et le temps, la géostatistique est donc l’outil idéal pour les aborder. Cependant, les méthodes classiques montrent des limites lorsqu’elles sont confrontées à une grande masse de données dont la structure spatio-temporelle est particulièrement complexe. C’est pourquoi nous développons de nouveaux modèles spatio-temporels, inspirés de la physique, et qui font intervenir des méthodes d’analyse numérique rendant les calculs efficaces. Par ailleurs, nous cherchons également à nourrir nos modèles des développements issus de l’apprentissage automatique, pour leur conférer une plus grande flexibilité et faciliter leur calibration. »
  • Denis Allard : « Nous travaillons aussi à rapprocher la géostatistique et la théorie des valeurs extrêmes qui propose des méthodes pour extrapoler la fréquence et la magnitude d’événements extrêmes pour des valeurs encore jamais observées (par exemple des vagues de chaleur inédites). En rapprochant ces deux domaines de la statistique, nous développons de nouvelles méthodes pour l’analyse des événements climatiques extrêmes dans un cadre spatial et spatio-temporel. Dans le cadre de la chaire Geolearning, nous allons vers une modélisation plus précise des risques, comme les précipitations extrêmes, les inondations, les vagues de chaleur. À plus long terme, notre objectif est d’aborder des phénomènes particulièrement complexes comme les tornades ou les épisodes de grêle, à l’origine de dommages de plus en plus fréquents et couteux. Pour mener à bien ces travaux, la chaire Geolearning finance plusieurs thèses et projets de recherche post-doctoraux. Nous nous appuyons sur un réseau de collaborations scientifiques de premier plan. Citons en particulier les membres du réseau national RESSTE (Risques, Extrêmes et Statistique Spatio-TEmporelle) que nous animons depuis 2014, mais aussi avec des universitaires français et internationaux, notamment issus de l’Université de Lausanne (UNIL) ou encore de l’université Ca’ Foscari de Venise. »

 

Quels sont les retombées attendues de la chaire Geolearning ?

Nous attendons bien entendu des retombées scientifiques, mais notre objectif est aussi que notre recherche ait un impact socio-économique.

  • Denis Allard : « D’un point de vue scientifique, nous développons des outils théoriques et méthodologiques qui combinent géostatistique, événements extrêmes et apprentissage, et nous avons déjà obtenus des résultats dans ces champs. Les thèses et les projets post-doctoraux financés par la chaire portent sur des sujets très innovants à la croisée de ces domaines. Nous participons également à l’animation d’une communauté scientifique française et internationale sur ces sujets. Ainsi, nous participons activement ou nous co-finançons 4 conférences ou colloques internationaux en 2025, dont un colloque sur les méthodes de correction de biais dans les modèles climatiques et les journées de géostatistique, deux événements qui se tiendront à Mines Paris – PSL. Notons également une participation de premier plan à la conférence bisannuelle Spatial Statistics, où une session sera entièrement dédiée à la chaire. »
  • Thomas Romary : « Les méthodes que nous développons seront portées dans des logiciels et des librairies de calcul en libre accès afin de faciliter leur transfert vers l’industrie et la puissance publique. Leurs applications sont multiples. Elles permettront entre autres de quantifier l’exposition d’un actif au risque climatique, d’évaluer la résilience des infrastructures à ce même risque, ou encore de guider les stratégies d’adaptation au travers d’études d’impact. À plus long terme, nos recherches auront des impacts auprès du monde socio-économique. Les secteurs de l’assurance et de la réassurance, de l’énergie et de la gestion de l’eau sont en première lignes bien entendu, mais les gestionnaires des infrastructures, et les acteurs publics en charge des territoires et de leur résilience sont également concernés. »

 


Pour aller plus loin :

  • Bhavsar, F., Desassis, N., Ors, F., & Romary, T. (2024). A stable deep adversarial learning approach for geological facies generation. Computers & Geosciences, 105638.
  • Clarotto, L., Allard, D., Romary, T., Desassis N. (2024) The SPDE approach for spatio-temporal datasets with advection and diffusion. Spatial Statistics, 100847. arXiv: 2208.14015
  • Jansson, E., Lang, A., & Pereira, M. (2024). Non-stationary Gaussian random fields on hypersurfaces : Sampling and strong error analysis. arXiv:2406.08185.
  • Nanditha, J. S., Villarini, G., Kim, H., & Naveau, P. (2024). Strong linkage between observed daily precipitation extremes and anthropogenic emissions across the contiguous United States. Geophysical Research Letters, 51, e2024GL109553. https://doi.org/10.1029/2024GL109553
  • Obakrim, S., Benoit, L., & Allard, D. (2024). A multivariate and space-time stochastic weather generator using a latent Gaussian framework. Soumis à Stochastic Environmental Research and Risk Assessment. https://hal.science/hal-04715860/
  • Pereira M., (2023) A note on spatio-temporal random fields on meshed surfaces defined from advection-diffusion SPDEs. hal-04132148
  • Vrac, M., Allard, D., Mariéthoz, G., Thao, S. Schmutz, L. (2024) Distribution-based pooling for combination and multi-model bias correction of climate simulations. Earth System Dynamics, 15(3), 735-762

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