Explorer l’espace depuis la Terre grâce à la modélisation thermique des astéroïdes

Observer un astéroïde à des millions de kilomètres, c’est une prouesse technique. Mais comprendre sa surface et ses propriétés thermiques sans y poser le pied ? C’est un défi scientifique. C’est justement là qu’intervient cette collaboration : modéliser avec une très haute précision le transfert de chaleur dans les régolithes, ces couches de poussière et de cailloux qui recouvrent les astres sans atmosphère, comme la Lune ou les astéroïdes.
Le régolithe, bien plus qu’un simple tas de gravats, est un indicateur-clé des propriétés physiques de la surface d’un corps céleste et de son histoire. En simulant numériquement comment la chaleur – principalement issue du rayonnement solaire – se propage à travers ces matériaux, les chercheurs peuvent en déduire leur composition, leur structure interne ou encore leur capacité à emmagasiner ou diffuser l’énergie.
Ce travail de simulation permet non seulement d’interpréter les données récoltées par les missions spatiales, mais aussi d’anticiper les défis que posent les futures missions d’exploration et d’exploitation dans leur capacité à prélever et renvoyer vers la Terre ou analyser sur place les échantillons recueillis.
La température à la surface d’un astéroïde peut fluctuer énormément, parfois sur des périodes très courtes. Comprendre comment ces variations de température se propagent sous la surface est crucial pour plusieurs raisons :
C’est donc un domaine à l’intersection de la science fondamentale, de la défense planétaire et de l’innovation technologique.
Image mosaïque de Bennu, composée de 12 images PolyCam recueillies le 2 décembre 2018 par la sonde spatiale OSIRIS-Rex, à une distance d’environ 24 km. © NASA/Goddard/University of Arizona. Domaine public CC0.
Pour relever ce défi, l’équipe de Marc Bernacki s’appuie sur la modélisation dite haute-fidélité. Cela signifie que les chercheurs reproduisent les phénomènes physiques au plus près de la réalité, en tenant compte de multiples paramètres : taille et forme des particules, porosité du sol, propriétés radiatives et conductrices des matériaux…
Concrètement, cela revient à créer un régolithe « numérique », composé de millions de grains aux propriétés variées, sur lequel on fait circuler de la chaleur comme celle apportée par le Soleil. Grâce à la puissance du calcul haute performance (HPC), les chercheurs peuvent alors suivre, seconde après seconde, comment la température et donc la signature thermique de ces objets évoluent en fonction des hypothèses faites sur leur structure de surface. Le juge de paix étant les mesures expérimentales lointaines de signature thermique dont nous disposons pour ces objets.
Parmi les publications-clés issues de ce travail, on peut citer celle d’A. J. Ryan et al. dans The Planetary Science Journal (2024), qui analyse les caractéristiques thermiques du site d’échantillonnage de la mission OSIRIS-REx sur l’astéroïde Bennu. Ces études montrent que certains régolithes possèdent une inertie thermique extrêmement faible – un phénomène que seule une modélisation détaillée permet d’expliquer.
La mission OSIRIS-REx de la NASA, lancée en 2016, a récolté en 2020 un échantillon du régolithe de Bennu, qu’elle a rapporté sur Terre en septembre 2023. Un véritable trésor scientifique. Grâce aux images, aux mesures thermiques et aux échantillons collectés, les chercheurs ont pu confronter leurs modèles aux données réelles.
Résultat : les modélisations issues des codes du CEMEF ont permis de critiquer certains modèles thermiques simplifiés utilisés actuellement. Par exemple, les roches de Bennu semblent être très poreuses et fragmentées, ce qui explique leur faible capacité à emmagasiner la chaleur. Une meilleure connaissance de ces sujets est cruciale pour planifier les prochaines missions en lien avec des astéroïdes afin d’y prélever des échantillons ou plus généralement pour améliorer l’analyse à distance de régolithes.
Surface de l’astéroïde Bennu, recouvert de blocs rocheux formant le régolithe. Cette image, capturée par la caméra PolyCam de la sonde OSIRIS-REx le 11 avril 2019 à 4,5 km de distance, montre une zone de 64,4 m de large, avec en haut à droite un imposant rocher de 15,4 m de hauteur. © NASA/Goddard/University of Arizona – CC BY-NC 2.0
Pourquoi ce projet est-il inscrit dans le défi « Transition énergétique » du Mines Paris Research Day ? Parce qu’il ne s’agit pas seulement d’explorer l’espace. Les outils numériques, les modèles thermiques et les techniques de simulation mis en œuvre peuvent être réutilisés dans d’autres contextes : batteries solides, fabrication additive, métallurgie des poudres, matériaux isolants, ou systèmes énergétiques complexes.
De plus, anticiper les ressources potentielles dans l’espace (eau, métaux, etc.) fait partie des réflexions de long terme sur les besoins énergétiques futurs. Enfin, cette recherche participe à la montée en puissance d’une ingénierie numérique sobre et efficace, capable de répondre aux grands enjeux de demain, sur Terre comme ailleurs.
Ce projet incarne l’ambition de Mines Paris – PSL : allier excellence scientifique, innovation numérique et partenariats internationaux. Ce projet a réuni une équipe interdisciplinaire impliquant l’Université Côte d’Azur, la NASA, l’Université de l’Arizona et d’autres acteurs majeurs de la recherche spatiale. La collaboration se poursuit aujourd’hui en lien avec une meilleur compréhension du sol lunaire.
Cette dynamique de recherche, saluée lors du Mines Paris Research Day 2025, montre que les grandes explorations commencent souvent… dans un ordinateur. Et que la science des matériaux, bien que tournée vers la Terre, peut aussi nous aider à mieux comprendre l’Univers.
Marc Bernacki, enseignant-chercheur au CEMEF de Mines Paris – PSL et responsable de l’équipe MSR (Métallurgie microStructure Rhéologie), a reçu la pre...