De l’ingénierie à la clinique : synergies entre science et santé avec le Trimestre Recherche R_SANTÉ (L’Ingénieur et la Recherche en Santé)

Formation Recherche Science et société Décryptage
Publié le 4 juin 2025
À Mines Paris – PSL, la formation par la recherche est un pilier fondamental du cursus. Le Trimestre Recherche (TR) offre aux élèves-ingénieurs une opportunité unique d’explorer un domaine scientifique en immersion totale. Pendant quelques semaines, ils intègrent un laboratoire de recherche, soit dans l’un des centres de Mines Paris – PSL, soit dans un laboratoire partenaire. En devenant ainsi des acteurs de projet de recherche, ce dispositif leur permet d’explorer un domaine scientifique en profondeur, de mettre en pratique leurs compétences et d’acquérir les premiers éléments méthodologiques de la recherche. Par cette intégration de la recherche à la formation, Mines Paris – PSL forme des ingénieurs capables d’innover et de faire progresser les connaissances en conjuguant rigueur théorique et application pratique.

Le Trimestre Recherche (TR) R_SANTÉ

Un stage dédié à l’ingénierie et la recherche en santé

Le domaine de la santé est en pleine transformation. Ces mutations – technologiques, organisationnelles et socio-économiques – exigent une recherche à la fois rigoureuse, pluridisciplinaire et tournée vers l’innovation. Les ingénieurs y jouent un rôle clé, qu’il s’agisse de concevoir de nouveaux dispositifs médicaux, de modéliser des fonctions physiologiques complexes ou d’analyser et exploiter les grandes bases de données de santé.

Le Trimestre Recherche (TR) R_SANTÉ de Mines Paris – PSL, dont Laurent Corté, enseignant-chercheur au Centre des Matériaux (CMAT), et Yannick Tillier, enseignant-chercheur au Centre de Mise en Forme des Matériaux (CEMEF), sont les responsables, offre aux élèves-ingénieurs une immersion dans cette diversité de problématiques. Organisé autour de cinq grandes thématiques – bioinformatique et science des données, biomatériaux et dispositifs médicaux, biomécanique et modélisation, physique et physiologie, organisation et gestion de la santé – il propose une formation mêlant cours, séminaires, visites, bibliographie et stage de recherche en laboratoire ou en milieu hospitalier.

L’objectif est double : permettre aux élèves d’aborder concrètement les enjeux de la recherche en santé et les initier aux méthodes scientifiques qu’ils pourront approfondir par la suite. En fonction de leur sujet, ils peuvent apprendre à collaborer avec des médecins, chercheurs, ingénieurs ou décideurs, à comprendre le rôle de la réglementation, de l’économie et de l’éthique, ou à suivre les étapes du transfert de l’innovation vers la clinique.

Ce trimestre, encadré par une équipe pédagogique interdisciplinaire, reflète la richesse et la complexité des enjeux contemporains de la recherche biomédicale. Il prépare les élèves à devenir des acteurs éclairés de l’innovation en santé.

Coup de projecteur sur un projet d’élèves 2025

Une puce pour écouter les neurones : comprendre, modéliser et maîtriser leur environnement

Simon Boudara, élève-ingénieur en 2e année à Mines Paris – PSL, s’est immergé pendant plusieurs mois dans l’univers de la recherche biomédicale, en explorant un outil à la fois minuscule et prometteur : une puce microfluidique baptisée Octopus.

Son projet, mené dans le cadre du Trimestre Recherche R_SANTÉ, avait un objectif précis : évaluer la performance de cette puce conçue pour mieux comprendre comment les neurones réagissent à leur environnement, et plus particulièrement comment leurs prolongements – les axones – interagissent avec des vésicules extracellulaires (VE) de taille nanométrique et d’origine biologique.

Exemple de croissance axonale dans la puce microfluidique « Octopus ». Au centre, le ganglion de la racine dorsale (DRG). Les axones (en vert et rouge) s’étendent dans la chambre centrale avant d’atteindre les microcanaux et de terminer leur croissance dans les chambres périphériques. © Hugo Salmon, Solène Moreau. Fabrication et imagerie : Raul Flores Berdines.

Un défi au croisement de la physique et de la biologie

Le système nerveux périphérique est composé d’axones et de cellules de Schwann, qui enveloppent ces axones d’une gaine protectrice appelée myéline, essentielle à la transmission rapide de l’influx nerveux. Des lésions ou pathologies affectant ces structures peuvent entraîner des troubles neurologiques lourds. Comprendre les interactions entre axones, cellules de Schwann et vésicules extracellulaires (Nanoparticules lipidiques sécrétés par les cellules) est donc un enjeu crucial pour la recherche biomédicale.

C’est là qu’intervient Octopus, une puce microfluidique à trois compartiments, développée par les laboratoires Healthfex et NABI de l’Université Paris Cité. Elle permet d’isoler des fragments du système nerveux (appelés explants de ganglions spinaux) dans un environnement contrôlé. Les axones peuvent alors croître depuis un compartiment central vers trois chambres latérales, chacune pouvant recevoir un traitement spécifique. Ce dispositif ouvre la voie à des études sur l’effet de différents environnements biochimiques, notamment ceux contenant des vésicules extracellulaires, sur la structure et la fonction neuronale.

Simuler pour mieux contrôler la délivrance de traitements

Plutôt que de concevoir la puce, Simon avait pour mission d’en évaluer les performances physiques à l’aide d’outils de modélisation. Grâce au logiciel COMSOL Multiphysics, il a mené une série de simulations en 3D, reproduisant d’abord les écoulements de fluide dans les microcanaux pour vérifier que les forces exercées sur les axones restaient en dessous des seuils de sécurité biologique. Puis, dans un second temps, il a étudié la diffusion moléculaire, pour s’assurer que les substances injectées dans un compartiment ne diffusaient pas dans les autres – un point essentiel pour garantir une compartimentation fiable.

Ces analyses numériques ont ensuite été validées expérimentalement. La puce, fabriquée en FlexDym, un matériau souple et transparent commercialisé par la société parisienne Eden Tech, a été testée en injectant des solutions fluorescentes. Simon a observé le remplissage des canaux au microscope et à l’échelle macroscopique, comparant les résultats aux prédictions des modèles. Les écarts constatés entre simulations et expériences sont restés faibles, confirmant la fiabilité du modèle et la robustesse de la puce pour des applications en culture neuronale.

Durant toute la durée de son stage, Simon a été accompagné par le Dr. Hugo Salmon, maitre de conférences en physique aux laboratoires Healthfex et NABI, et son doctorant Raul Flores Berdines. Ils l’ont guidé dans la mise en œuvre des protocoles expérimentaux et l’interprétation des résultats numériques.

 

Simon et son binôme ont rapidement su s’intégrer dans l’équipe, découvrant les joies et les challenges d’un environnement de recherche interdisciplinaire et international. Le trimestre Recherche est un format dont je suis assez friand, un terrain de rencontre entre ingénierie et biologie et de réflexion des apports de l’ingénierie à la compréhension du vivant.

Dr. Hugo Salmon, maitre de conférences en physique aux laboratoires Healthfex et NABI

Un dispositif prometteur pour la recherche en neurobiologie

Les résultats de ce stage montrent que la puce Octopus offre un environnement sûr, stable et contrôlé pour l’étude de neurones en laboratoire. Grâce à sa conception compartimentée, elle permet d’isoler les effets de traitements spécifiques et d’étudier les interactions complexes entre axones, myéline et vésicules extracellulaires.

En rejoignant une équipe pluridisciplinaire de biologistes, médecins et ingénieurs, Simon a découvert le fonctionnement d’un laboratoire de recherche translationnelle, où les outils d’ingénierie servent à répondre à des questions médicales concrètes. Ce projet illustre l’ambition du Trimestre Recherche : offrir aux élèves une expérience de recherche authentique, connectée aux grands enjeux scientifiques et médicaux actuels.

3 questions à Simon Boudara :

Qu’est-ce qui vous attiré dans ce projet mêlant microfluidique et neurosciences, et en quoi a-t-il changé votre perception de la recherche appliquée ?

Ce sont d’abord les compétences techniques mises en jeu dans ce sujet qui m’ont attiré. Je souhaitais utiliser certaines connaissances que j’avais acquises dans mon cursus (notions de mécaniques des fluides, phénomènes de diffusion-convection) dans un cas appliqué. C’était aussi l’occasion de découvrir de nouveaux concepts comme la microfluidique ou la méthode des éléments finis. J’ai également été attiré par l’environnement de ce stage : découvrir comment des physiciens et des ingénieurs travaillent en collaboration avec des médecins et des biologistes pour développer différents projets de recherches.

Je n’avais pas vraiment d’idées sur le monde de la recherche appliquée avant d’effectuer ce stage. Cela m’a donc permis de découvrir l’environnement de la recherche translationelle, et m’a permis de concevoir comment les compétences acquises dans le cursus d’ingénierie peuvent se mettre au service de cet environnement.

Quels ont été les principaux défis techniques ou scientifiques que vous avez rencontrés, et comment les avez-vous surmontés ?

Les plus gros défis techniques ont clairement été liés au domaine expérimental, et cela a d’ailleurs été une surprise pour moi. Je m’attendais en effet à être confronté davantage à des défis scientifiques théoriques liés à l’apprentissage de nouveaux concepts. Ce sont finalement les choses que je considérais au début comme les plus accessibles qui m’ont causé le plus de difficulté. J’ai dû recommencer à plusieurs reprises bon nombre d’expériences avant que ces dernières donnent des résultats exploitables. J’ai pu surmonter ces difficultés expérimentales grâce à mes encadrants de stage qui ont été extrêmement présents et qui m’ont formé sur plusieurs techniques expérimentales propres à leur laboratoire.

En quoi pensez-vous que cette puce pourrait faire évoluer les méthodes actuelles en recherche neurobiologique ?

Cette puce s’inscrit dans une dynamique forte aujourd’hui en ce qui concerne la culture cellulaire. La spécificité de cette puce réside dans sa capacité à compartimenter des vésicules extracellulaires de cellules de Schwann dans différentes chambres. Cela facilite ainsi l’étude rigoureuse et quantitative sur l’influence des VE sur la croissance axonale et sur le développement de la myéline. Cette puce s’inscrit elle-même dans l’évolution des plateformes microfluidiques déjà existantes dans le domaine de la microfluidique. Elle pourrait permettre d’ouvrir la voie à de nouveaux dispositifs d’ingénierie pour étudier les interactions axones-VE.

 

Les projets passés : un stage de recherche au service de projets à long terme

Les stages de Trimestre Recherche (TR) ne sont pas seulement une immersion scientifique pour les élèves de Mines Paris – PSL : ils s’inscrivent dans une dynamique de recherche au long cours pour les laboratoires qui les accueillent. Intégrés à des travaux de recherche en biologie et en médecine régénérative, plusieurs élèves ont apporté une contribution concrète à des projets de grande ampleur. C’est dans ce cadre que Blandine Geisler, élève-ingénieure à Mines Paris – PSL, a réalisé un stage en 2023, sous la direction de Céline Colnot, directrice de recherche DR2 à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Son sujet de stage : comprendre comment la réponse immunitaire oriente le comportement des cellules souches dans la réparation des os et des muscles après un traumatisme.

Explorer le dialogue entre cellules souches et cellules immunitaires

Lors de son TR R_SANTÉ, Blandine Geisler s’est intéressée à la façon dont les cellules du système immunitaire, comme les macrophages, interagissent avec les cellules souches responsables de la réparation des os – appelées cellules souches/progénitrices squelettiques (SSPCs). Les macrophages sont des cellules immunitaires qui « nettoient » les tissus après une blessure, mais jouent aussi un rôle clé dans la réparation en envoyant des signaux aux autres cellules. De leur côté, les SSPCs sont des cellules capables de se transformer en cellules osseuses pour reconstruire l’os abîmé. Blandine a étudié ces interactions dans deux situations : une fracture osseuse simple, et une fracture accompagnée d’une lésion musculaire – un cas plus complexe où la régénération est souvent perturbée.

Pour comprendre précisément ce qui se passe au niveau des tissus, elle a utilisé une technologie de pointe appelée séquençage de l’ARN à l’échelle cellulaire (10x Genomics). Cette technique permet d’analyser entre 200 et 5000 gènes exprimés dans les cellules, pour connaître leur type et leur état. Elle a ainsi travaillé sur des échantillons prélevés à différents moments après la blessure, pour observer l’évolution du dialogue cellulaire sur plus de 6000 cellules. Ces données de séquençage nécessitent des outils d’analyse bioinformatique spécifiques. Elle a utilisé des outils comme Seurat qui permet de regrouper les cellules similaires, un peu comme on classe les livres d’une bibliothèque par genre, créant ainsi un atlas de la régénération osseuse. Elle a également utilisé CellChat, qui détecte les messages chimiques échangés entre cellules grâce aux molécules appelées ligands et récepteurs. Ces échanges sont comme des serrures et des clés moléculaires : lorsqu’un ligand produit par une cellule trouve son récepteur sur une autre, un signal est transmis. Ces analyses ont permis de mieux comprendre comment les macrophages influencent le comportement des cellules souches, et comment cette coordination peut être altérée en cas de blessures complexes.

Ses travaux ont montré que la réponse immunitaire, rapide et intense dans les jours suivant une blessure, joue un rôle central dans la mobilisation des cellules souches. Ce dialogue est essentiel à la bonne réparation des tissus. Mais en cas de blessures sévères (fracture et lésion musculaire combinées), cette coordination est perturbée, ce qui peut nuire à la régénération. Ces résultats ouvrent des pistes pour cibler l’inflammation et optimiser les processus de guérison.

Atlas des cellules immunitaires de la régénération osseuse. © Bone Research 2024.

Une contribution scientifique reconnue

Le stage de Blandine Geisler s’inscrit dans le cadre d’un projet de longue haleine qui explore les mécanismes cellulaires impliqués dans la régénération osseuse, et auquel plusieurs élèves du TR R_SANTÉ ont déjà pris part avant elle. Cécile-Aurore Wotawa (TR R_SANTÉ 2021/2022) avait ainsi contribué à ces recherches, donnant lieu à une publication dans la revue eLife. Le travail de Blandine a quant à lui conduit à une seconde publication scientifique dans le journal Bone Research en 2024. Ces travaux collectifs témoignent de la richesse scientifique du partenariat entre Mines Paris – PSL et les équipes de recherche en médecine régénérative, et de la contribution réelle des élèves à des projets de recherche d’envergure.

À l’issue de cette immersion en recherche, Blandine Geisler a choisi de poursuivre dans le domaine de la santé :

 

 Après ce stage, j’ai opté pour l’option “Santé & Vivant” en 3e année à l’École. Une fois diplômée, j’ai rejoint l’Université Paris Cité pour entamer des études de médecine, intégrant directement la 3e année grâce à la passerelle Mines – Médecine.

Blandine Geisler

Son parcours illustre pleinement les ponts que Mines Paris – PSL permet de bâtir entre recherche scientifique, ingénierie et pratiques médicales.

 

Ce stage permet aux étudiants de mettre en pratique leur expertise en analyses bioinformatiques dans le contexte de projets de recherche fondamentale de pointe. Ils découvrent la recherche, les méthodes et les démarches scientifiques, grâce à leur participation active aux analyses de données.

Céline Colnot

 

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