Maurice Allais : un génie de la Théorie et de la Pratique à redécouvrir

Relire Maurice Allais, économiste de génie qui a fait toute sa carrière à l’école des mines de Paris, c’est le meilleur moyen de se rappeler combien l’excellence scientifique fleurit quand théorie et pratique sont combinées.
Comme il le disait en 1954 (et en français !) dans le prestigieux journal Econometrica, « la théorie n’est que de la pratique condensée et l’opposition entre théorie et pratique est purement artificielle. Une théorie ne vaut que si elle est conforme aux faits, donc à la pratique. « Le fait scientifique n’est que le fait brut traduit dans un langage commode » [Poincaré, 1927] et « la science n’a d’autre but que de résumer les faits en des formules interprétées par des théories » [Bouasse, 1931]. En réalité comprendre un phénomène, c’est pouvoir en établir un modèle abstrait. (…) c’est une erreur que de soutenir que l’on peut faire de la science en accumulant simplement les faits. Cette voie ne saurait mener à rien, sinon au désordre. (…)
Dans un perpétuel aller et retour entre la théorie et la pratique, et en faisant appel suivant le besoin à la logique ordinaire ou à son prolongement que constituent les mathématiques, cette intelligence, toujours nuancée et jamais dédaigneuse de la forme, mais toujours soucieuse de la cohérence logique, se préoccupe d’apercevoir les caractères essentiels des faits, soit pour la satisfaction de mieux les comprendre sur le plan de la pensée, soit pour l’avantage de mieux les utiliser sur le plan de l’action. »
Et il concluait quelques pages plus loin :
« La science économique est avant tout une science d’observation et une science appliquée. L’utilisation des mathématiques y est indispensable en tant que procédé de déduction et d’analyse, mais elle ne peut être féconde que si elle part d’une excellente connaissance des faits. C’est la raison pour laquelle il est indispensable pour un économiste digne de ce nom de ne pas rester étroitement spécialisé, mais d’avoir de vastes connaissances, non pas seulement en économique pure et appliquée, mais également en sociologie, en science politique et en histoire. »
Maurice Allais a révolutionné l’analyse économique de son temps en deux ouvrages remarquables écrits à quatre années de distance et récompensés 41 ans plus tard par le Comité Nobel. Dans A la Recherche d’une Discipline économique (1943), ouvrage renommé plus tard Traité d’Économie Pure, il régénère les méthodes de preuve de l’existence d’un équilibre général économique en préfigurant ce qui deviendra la seconde méthode de Lyapunov ; mais il développe aussi au long de 900 pages les applications qu’il entrevoit à diverses situations économiques. En 1947, il cherchera tout naturellement à étendre ces résultats à un univers dynamique (ou inter-temporel) macro-économique. Dans Économie et Intérêt, il renouvelle la macro-économie – jusque-là reposant sur « l’agent représentatif » – en créant le modèle des économies « à générations imbriquées », qui deviendra un outil standard d’évaluation des systèmes de retraite notamment. Il insiste sur la répartition intergénérationnelle des ressources et sur le rôle politique de l’État à cet égard, soulignant les insuffisances du marché.
En réalité, ce grand économiste était aussi un grand penseur. Dans plusieurs écrits des années quarante et cinquante, il s’efforcera de rechercher un « planisme concurrentiel » qui permette de tenir compte des critiques de type socialiste à l’économie libérale et des excès de limitation des libertés dans les organisations économiques étatiques, par ailleurs inefficaces. Maurice Allais, exigeait de l’esprit scientifique qu’il soit libre de références idéologiques rigides et ne recherche que l’amélioration du sort du plus grand nombre, sans jamais oublier les plus modestes dont il était d’ailleurs issu lui-même. Il publiera en 1977 un ouvrage sur « L’Impôt sur le Capital et la Réforme monétaire » qui confirmera cette orientation sociale et scientifique à la fois.
Le grand économiste américain Paul Samuelson a écrit, en 1982 : « Si les premiers écrits d’Allais avaient été rédigés en anglais, une génération entière d’économistes aurait suivi un autre cours ». Il est difficile d’imaginer hommage plus exceptionnel. C’est justement le plus important de ses « premiers écrits », Économie et Intérêt, dont on célébre jeudi 13 février la première traduction en anglais, 75 ans après sa première édition, due à l’Imprimerie Nationale. Avec un tel éditeur, il y avait de fortes chances que l’ouvrage reste confidentiel. Il l’est resté, et pas seulement à l’étranger, mais hélas aussi en France. Or, ce livre de 800 pages contient une mine de découvertes dont beaucoup sont apparues depuis sous la plume d’autres chercheurs – souvent américains – qui ont reconnu aujourd’hui et rendu publique l’antériorité de Maurice Allais. C’est le cas du modèle à générations imbriquées, qui sera développé par Paul Samuelson (1958), puis Peter Diamond (1965), ou encore de la réfutation de l’hypothèse Ricardienne selon laquelle l’endettement public n’affecte jamais l’efficience économique. Il en va de même de l’insuffisance du marché pour assurer une répartition des revenus intergénérationnelle satisfaisante, qui doit résulter d’une décision politique. Autant d’aspects que beaucoup de responsables économiques ont minimisés, provoquant ainsi bien des difficultés actuelles.
Ces thèmes feront l’objet du débat organisé à l’École, jeudi 13 février à partir de 17h15, à l’Espace Maurice Allais et en visioconférence.
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