Workshop TTI.5 : Mines Paris – PSL au cœur des défis liés à l’électrification des usages pour la transition écologique

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Publié le 27 novembre 2024

Le 28 mai 2024, le campus parisien de Mines Paris – PSL a accueilli la seconde édition du Workshop TTI.5, organisé par The Transition Institute 1.5 (TTI.5). Cet événement annuel constitue une occasion unique de partager et d’explorer les recherches de Mines Paris – PSL sur la transition écologique, les enjeux d’adaptation et les questions de biodiversité. Chercheurs et experts y ont interrogé la pertinence d’une vision régulièrement présentée comme une orientation souhaitable, voire incontournable pour la transition : le déploiement du vecteur électrique. 

L’électrification des usages : un vecteur incontournable ?

L’ambition de ce workshop est de donner aux participants l’opportunité de présenter leurs travaux, d’échanger des idées et de collaborer dans un environnement propice à la discussion et à la réflexion. À travers ces journées, l’aspiration de The Transition Institute 1.5 est de contribuer de manière significative à l’avancement de la recherche et à la compréhension collective des enjeux liés à la transition bas carbone. Ces tables rondes, structurées par les axes de recherche de TTI.5, permettent une réflexion approfondie et collective sur les débats environnementaux. 

L’axe de recherche de cette table ronde, « Une planète électrique ? », vise à interroger la pertinence du déploiement du vecteur électrique, souvent présenté comme une solution incontournable pour la transition énergétique. L’objectif est de définir les conditions techniques, sociales, organisationnelles et politiques nécessaires pour mettre en place des trajectoires de transition bas-carbone à différentes échelles. En explorant les enjeux inhérents à l’électrification, les chercheurs de Mines Paris – PSL cherchent à proposer des solutions viables et durables. 

Pour atteindre ces objectifs, il est essentiel de s’intéresser aux trajectoires technologiques et de consommation compatibles avec une électrification décarbonée. Cela inclut une analyse approfondie des enjeux opérationnels pour les systèmes électriques, les technologies de production, les vecteurs et des ressources énergétiques disponibles, ainsi que les modes de vie contemporains. Les leviers économiques et politiques susceptibles de faciliter la mise en œuvre de ces trajectoires sont également au cœur de cette réflexion. 

Ressources minérales : le socle de l’électrification

Damien Goetz, chercheur au Centre de GEOSCIENCES de Mines Paris – PSL, évoque l’idée que l’électrification est souvent présentée comme la seule alternative maîtrisée à grande échelle pour répondre aux défis climatiques actuels. Cependant, la disponibilité de cette énergie varie considérablement selon les pays, rendant parfois l’offre peu verte ou insuffisante. L’enjeu est donc de couvrir toutes les étapes de la vie de l’énergie électrique, de sa production à sa consommation. 

Historiquement, l’économie mondiale s’est appuyée sur le pétrole, mais face à la nécessité de sortir du système pétrolier ainsi qu’à la considération d’une transition par l’électrique, la question centrale est désormais de savoir quand nous manquerons de lithium et autres minéraux essentiels. Ce sujet, bien que critique, reste souvent éloigné des préoccupations sociétales et comporte des dimensions géologiques et économiques complexes. Au cours des 15 dernières années, le nombre de sources connues de lithium a été multiplié par sept. Les recherches menées à Mines Paris – PSL et ailleurs examinent activement la possibilité d’extraire du lithium dans des régions comme l’Allier ou les saumures géothermales d’Alsace. Cependant, la dimension économique de cette exploitation est tout aussi cruciale. En effet, les réserves sont étroitement liées aux prix de marché, et prouver la rentabilité d’un gisement est coûteux. 

Capacité industrielle et contraintes de production

Petr Dokladal, chargé de recherche au Centre de Morphologie Mathématique (CMM) de Mines Paris – PSL, a soulevé la question de la capacité industrielle à répondre aux besoins de la transition énergétique. Selon Damien Goetz, nous ne pouvons plus compter sur l’expansion de l’extraction pétrolière pour répondre aux besoins énergétiques. Il y a cinq ans, l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), en imaginant la planification de la transition écologique, ne prenait pas en compte ces nouveaux besoins en métaux, pourtant cruciaux aujourd’hui dans sa mise en œuvre. Désormais, l’AIE reconnaît que la trajectoire initiale est infaisable : il est trop tard pour lancer de nouveaux projets dans les délais requis. La transition se fera donc soit en adoptant une sobriété énergétique, soit en avançant au rythme auquel les métaux nécessaires pourront être produits. 

Face à cette réalité, une autre question se pose : ne sommes-nous pas en train de remplacer un mal par un autre ? Damien Goetz admet que toute transition énergétique implique des pollutions. Les impacts environnementaux sont indéniables, notamment en ce qui concerne la consommation d’eau. Par exemple, en Amérique du Sud notamment au Chili, la quasi-totalité des exploitations de cuivre utilise de l’eau de mer dessalée, pompée depuis la côte vers les sites miniers en montagne, faute d’autorisations pour utiliser l’eau locale. Cette disparité géographique engendre des traitements inégaux en termes d’impact environnemental. 

Stockage de l’énergie : innovations techniques et défis pratiques

Le workshop a également été l’occasion d’aborder les enjeux du stockage souterrain de l’énergie. Faouzi Hadj Hassen, enseignant-chercheur au Centre de GEOSCIENCES de Mines Paris – PSL, a souligné l’importance des espaces de sous-sols pour le stockage massif d’hydrocarbures sous forme gazeuse ou liquide. En effet, les réservoirs naturels existants, notamment les gisements d’hydrocarbures exploités, constituent 80 % des milieux poreux naturels propices à ce type de stockage. Pour l’hydrogène, par exemple, les aquifères représentent 13 % des capacités de stockage. En utilisant ces réservoirs, il est possible de créer un stockage massif à grande échelle en chassant l’eau par compression de gaz. 

Une deuxième méthode de stockage consiste à créer des cavités artificielles, particulièrement dans les formations salines, parfois jusqu’à 1500m de profondeur. Ces cavités sont relativement faciles à créer, en injectant de l’eau douce pour dissoudre le sel, bien que l’exploitation de la saumure extraite requière l’intervention de chimistes pour son utilisation dans l’industrie. Le sel, grâce à sa faible perméabilité et son inertie, fonctionne comme une bombonne de gaz, supportant des pressions élevées et permettant une réactivité immédiate en période de forte demande, ce qui est idéal pour la transition énergétique. 

Une autre variante des cavités artificielles utilise des explosifs pour miner et créer des revêtements imperméables, une tâche complexe qui limite le nombre de projets de ce type. Toutefois, les régions sans formations salines explorent tout de même cette méthode. Historiquement, le stockage souterrain concernait les hydrocarbures et récemment, des projets se sont tournés vers l’air comprimé pour stocker l’énergie renouvelable. Bien que les rendements de cette méthode soient faibles, elle permet de répondre aux pics de demande énergétique, soulignant l’importance de diversifier les solutions de stockage pour accompagner la transition énergétique, tout en répondant aux particularités géographiques et techniques spécifiques. 

Technologies émergentes et perspectives

L’utilisation des voitures à pile à combustible reste un défi technologique et économique majeur, comme l’explique Pedro Affonso Nobrega, chargé de recherche au Centre Procédés, Énergies renouvelables et Systèmes énergétiques (PERSEE) de Mines Paris – PSL. Les piles à combustible, bien que prometteuses par leur efficacité et rapidité de réaction, sont loin d’être prêtes pour une adoption massive. En effet, ces dispositifs, basés sur des céramiques composées de terres rares, présentent des difficultés en termes de robustesse mécanique et thermique, ce qui limite leur durabilité. 

Sur le plan économique et pratique, plusieurs défis subsistent pour améliorer l’expérience client. Par exemple, bien que le temps de remplissage d’un véhicule à pile à combustible soit plus court (entre 6 et 10 minutes) que celui des véhicules électriques classiques, il reste supérieur à celui des voitures thermiques. De plus, les problèmes de démarrage à froid des piles à combustible, bien que non bloquants, nécessitent encore des améliorations afin de garantir une fiabilité optimale. Pour un client ayant investi une somme considérable dans un véhicule électrique, ces aspects doivent être résolus pour que cette technologie soit plus attrayante et viable. 

Supercalculateurs : un impact environnemental à maîtriser

Claude Tadonki, chercheur au Centre de Recherche en Informatique (CRI) de Mines Paris – PSL, a mis en avant l’impact énergétique des supercalculateurs. Le calcul haute performance, défini comme la capacité à effectuer des calculs rapidement et efficacement, est une prouesse technologique qui entraîne une surconsommation énergétique préoccupante. L’utilisation intensive de ces supercalculateurs, essentiels pour diverses applications quotidiennes, exacerbe cette problématique. Par exemple, ChatGPT consomme chaque jour l’équivalent de l’énergie de 17 000 foyers (aux Etats-Unis), mettant en lumière la gourmandise électrique de ces systèmes. 

En France, comme dans la plupart des pays développés, la consommation d’énergie liée aux supercalculateurs a augmenté de manière significative, conduisant à un déficit imminent des besoins en électricité. Les coûts associés sont exorbitants : le supercalculateur de ChatGPT coûte environ 7 millions de dollars par an uniquement en électricité.  Par ailleurs, seulement 3 % de l’énergie d’un supercalculateur est utilisée pour les calculs, le reste étant dédié au refroidissement des infrastructures, ce qui souligne une inefficacité énergétique criante. 

L’utilisation massive des technologies de pointes pour les traitements informatiques pèse aussi lourdement sur les ressources naturelles, notamment celles impliquées dans la production de l’électrique nécessaire, ce qui engendre un surcoût concernant l’empreinte carbone. Pour atténuer ces impacts, il est capital de se tourner vers des solutions innovantes. Il devient nécessaire de concevoir des programmes privilégiant l’efficacité plutôt que la vitesse, et de mettre en place des techniques de refroidissement moins énergivores telles que l’utilisation de l’eau froide des lacs. Le Green Deal européen propose également des normes strictes pour les centres de données, visant à construire des infrastructures moins polluantes. Ces initiatives sont essentielles pour maîtriser la consommation énergétique et réduire l’impact environnemental du calcul haute performance, une technologie à la fois indispensable et exigeante. 

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