Numérique en santé et organisation : un enjeu clé pour la transformation des hôpitaux

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Publié le 27 janvier 2025
La transformation numérique dans les hôpitaux dépasse la simple innovation technique et nécessite une réorganisation profonde des structures et des pratiques. Le séminaire Santé Numérique de l’Institut des Transformations Numériques (ITN) de Mines Paris – PSL, qui s’est tenu le 19 septembre 2024 sur le campus parisien de l’École, a réuni des experts pour explorer les avancées numériques en santé et définir des priorités stratégiques.
Frédéric Kletz, enseignant-chercheur au Centre de Gestion Scientifique (CGS), étudie la dynamique de transformation des entreprises, l’organisation des hôpitaux et du système de santé, ainsi que la modernisation du management public. Il est responsable de plusieurs formations liant gestion et monde de la santé au sein de l’École, mais également en partenariat avec d’autres établissements comme l’APHP, le Groupe Hospitalier Paris St-Joseph et l’École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP). À travers des projets concrets et les nombreuses interactions entre les acteurs du domaine, Frédéric Kletz met en lumière les défis et opportunités liés à cette transition, soulignant son impact sur l’organisation des hôpitaux, la gestion des systèmes de santé et la modernisation des pratiques managériales.

Le numérique en santé : une réalité transformante

Le secteur de la santé connaît une transformation majeure, grâce à l’adoption généralisée des outils numériques. De l’imagerie médicale à la gestion des parcours de soins en passant par la médecine prédictive, le numérique est omniprésent, offrant de nouvelles perspectives pour améliorer la qualité des soins. À travers ses recherches, le CGS a mis en évidence la manière dont ces technologies transforment les pratiques hospitalières, en facilitant le suivi à domicile (télésurveillance), la coordination entre la ville et l’hôpital, ainsi que l’usage des outils d’IA dans des domaines comme l’anatomopathologie, une spécialité médicale consistant à examiner les tissus ou les cellules, pour repérer et analyser des anomalies liées à une maladie.

Ces avancées, souvent regroupées sous le terme de « médecine 4P » (prédictive, préventive, personnalisée, participative), permettent non seulement de soigner de manière plus ciblée, mais également d’impliquer davantage les patients dans leur parcours de santé. À titre d’exemple, des projets comme Covidom, une application e-santé permettant aux patients porteurs ou suspectés porteurs du Covid-19 sans signe de gravité, de bénéficier d’un télésuivi à domicile, sont des illustrations de l’apport des solutions numériques, permettant d’inscrire dans la durée le suivi des patients à domicile, tout en désengorgeant les structures hospitalières.

Cependant, la mise en place de ces innovations n’est pas sans difficultés. Environ 60 à 80 % des projets numériques échouent lors de la phase de déploiement (source : fonds FHF Recherche et Innovations). Or, les travaux menés aux Mines montrent que les échecs peuvent souvent s’expliquer par une insuffisante prise en compte des contraintes organisationnelles des établissements de santé.

Application Covidom

 

Les projets structurants portés par le CGS

Le CGS est impliqué dans plusieurs projets de recherche et d’accompagnement, illustrant la diversité des enjeux organisationnels liés à l’introduction du numérique en santé :

  1. L’implémentation de l’IA en santé : le CGS travaille sur l’intégration de l’IA en anatomopathologie. Si les algorithmes peuvent aider à améliorer la précision des diagnostics, ils imposent également une réorganisation des équipes, des processus et des circuits décisionnels. L’enjeu n’est pas seulement technologique, mais aussi humain et organisationnel.
  2. Le dossier patient informatisé (DPI) : l’étude de l’impact du DPI sur les organisations hospitalières montre que les enjeux vont bien au-delà de la simple numérisation des dossiers. Il remet en question les routines et demande aux acteurs de santé d’adopter de nouvelles méthodes de travail.
  3. La gestion des parcours de patients : des initiatives comme la mise en place de plateformes de coordination ville-hôpital en Île-de-France visent à mieux organiser la prise en charge des patients, en particulier ceux souffrant de maladies chroniques. Ces plateformes facilitent la communication entre les différents acteurs du cercle de soins, mais nécessitent un accompagnement organisationnel conséquent pour être efficaces. Il ne suffit pas de déployer une technologie : il faut également réviser les structures de coordination et les critères de performance.
  4. L’organisation de tiers-lieux hospitaliers : un autre exemple de réorganisation numérique est la création de tiers-lieux à l’hôpital, des espaces dédiés à la collaboration avec des start-ups. Ces environnements encouragent l’innovation mais nécessitent de reconfigurer les relations entre l’hôpital et ses partenaires externes. Là encore, la transformation numérique devient un levier de changement organisationnel.

Ces exemples montrent que l’implantation du numérique dans la santé va bien au-delà de la simple adoption de nouvelles technologies. Elle exige une réévaluation complète des modes de fonctionnement des organisations.

Le MedTechLab Tiers-Lieu d’Expérimentation s’inscrivant dans la stratégie d’accélération « Santé numérique » du plan France 2030

 

Les limites de la transformation numérique

Si les promesses du numérique en santé sont grandes, elles s’accompagnent aussi de plusieurs limites :

  • Les professionnels de santé : beaucoup de praticiens n’ont pas le temps de se former aux nouveaux outils numériques, ce qui limite leur adoption efficace. Les outils numériques doivent être conçus en tenant compte de leurs contraintes, sous peine de générer un rejet ou une sous-utilisation.
  • Les patients : une partie significative de la population reste exclue du numérique, comme l’a démontré l’initiative Emmaüs Connect. L’accès aux démarches administratives numériques, comme celles liées à la santé, est encore hors de portée pour de nombreuses personnes. De plus, les patients ne sont souvent pas impliqués dans la conception des technologies qui leur sont destinées, ce qui conduit à des écarts entre les outils proposés et leurs usages réels.
  • Les acteurs industriels : souvent éloignés du terrain, certains industriels développent des solutions trop centrées sur la technologie, au détriment des besoins des usagers. Le CGS insiste sur l’importance de réintégrer les enjeux organisationnels au centre de ces innovations, notamment à travers des démarches de co-conception, impliquant toutes les parties prenantes.

Emmaüs Connect met en place des actions pour permettre aux personnes en situation de précarité sociale et numérique d’accéder aux outils en ligne devenus indispensables.

 

L’organisation, un aspect souvent négligé

Un point central est l’importance de l’organisation dans l’implémentation des technologies numériques en santé. Chaque nouveau dispositif numérique impose une redéfinition des rôles, des processus, et des circuits administratifs. Il est nécessaire de repenser les structures organisationnelles avant même l’adoption d’un outil numérique. Cette dimension est souvent oubliée, menant à des échecs lors de la phase de déploiement.

L’organisation hospitalière, tout comme l’écosystème ville-hôpital, doit être prête à absorber les nouvelles technologies. Cela implique :

  • Une révision des compétences : les acteurs de santé doivent être formés à l’utilisation des nouveaux outils. De nouveaux métiers peuvent également être créés pour répondre à ces besoins émergents.
  • Une réorganisation des modes de coordination : le numérique bouleverse les circuits traditionnels de coordination. Il est crucial de s’assurer que les structures hospitalières et les acteurs de santé en ville puissent travailler de manière coordonnée, notamment à travers des plateformes de partage d’informations.
  • Un changement de modèle évaluatif : les critères de performance des hôpitaux doivent évoluer pour tenir compte de ces nouvelles réalités numériques.

 

Le numérique comme stimulus de la transformation organisationnelle

L’adoption du numérique dans le secteur de la santé est un véritable processus de transformation organisationnelle et non un simple changement technologique. Le CGS, à travers ses recherches et ses projets d’accompagnement, montre que cette transformation doit être pensée et anticipée sur le long terme. Pour les décideurs, il est essentiel de promouvoir une démarche systématique d’accompagnement organisationnel lors de l’implémentation de nouvelles technologies. Le numérique peut être un levier puissant de changement, mais il ne produira ses effets que si les organisations sont prêtes à s’adapter en profondeur.

 


L’ITN : développer les projets innovants de la nouvelle vague des transformations numériques

Créé en mars 2024, l’ITN de Mines Paris – PSL se positionne comme un acteur central de la transition numérique, mobilisant les expertises de ses 18 centres de recherche. Avec des axes stratégiques comme la santé numérique, l’ingénierie numérique et les industries culturelles, l’ITN fédère les connaissances pour relever les défis économiques, sociaux et technologiques de notre époque. Porté par une approche responsable et collaborative, il vise à accélérer l’innovation et à guider les acteurs publics et privés dans cette transformation.

Un séminaire pour relever les défis de la santé numérique

Le séminaire Santé Numérique a rassemblé chercheurs, industriels et décideurs autour des grands enjeux de la digitalisation des soins. Dans un monde où les avancées technologiques redéfinissent les pratiques médicales, la santé numérique s’impose comme un levier pour répondre aux défis actuels et futurs du système de soins. L’ITN explore ces transformations à travers différentes thématiques : la réinvention des infrastructures hospitalières, le développement des jumeaux numériques pour une médecine de précision et l’intégration de l’intelligence artificielle à toutes les échelles de la santé. Ces enjeux ne se limitent pas à l’innovation technologique, ils interrogent également les dimensions sociales, économiques et éthiques d’une médecine connectée et intelligente, ouvrant la voie à des soins plus personnalisés, accessibles et prédictifs.

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