Gérer l’incertitude : l’optimisation stochastique dans l’industrie de l’énergie

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Publié le 16 juillet 2025
Chaque jour, les acteurs de l’énergie avancent dans un environnement incertain, où les décisions stratégiques doivent être prises sans visibilité claire à long terme. À l’occasion du Mines Paris Research Day 2025, organisé le 24 juin sur le campus parisien de Mines Paris – PSL, Welington de Oliveira, chercheur au Centre de Mathématiques Appliquées (CMA) de l’École, a présenté ses travaux de recherche menés en partenariat avec des acteurs industriels du secteur de l’énergie, tels qu’EDF. C’est ainsi que la recherche scientifique peut offrir aux entreprises de nouveaux faisceaux d’analyse et des outils rigoureux pour mieux anticiper l’avenir. Parmi ces éclairages, l’optimisation stochastique — une branche des mathématiques dédiée à la prise de décision sous incertitude — apporte un véritable rayon de clarté dans des systèmes industriels complexes, marqués par des aléas comme la météo, la demande énergétique ou la volatilité des marchés. Focus sur une collaboration à haute intensité scientifique, qui éclaire les chemins de la transition énergétique.

Décider malgré l’aléatoire grâce à l’optimisation stochastique

La stochastique ? Emprunté au grec ancien, ce mot vient du grec stokhastikos, qui signifie « conjectural ». En mathématiques, il désigne tout ce qui repose sur le hasard ou des probabilités.

Chacun prend des décisions sous incertitude. Doit-on prendre un parapluie, investir ses économies ou planifier un long trajet ? Ces choix sont faits sans connaître avec certitude ce que nous réserve l’avenir. Dans l’industrie, et particulièrement dans le secteur de l’énergie, ces incertitudes sont démultipliées. Demande fluctuante, prix volatils, production irrégulière liée aux énergies renouvelables… Les opérateurs doivent s’adapter en permanence.

C’est ici qu’intervient l’optimisation stochastique, une discipline mathématique qui permet de modéliser des problèmes complexes dans lesquels certaines données ne sont pas connues à l’avance, mais sont décrites par des lois de probabilité. Autrement dit, nul n’essaie de prédire exactement ce qu’il va se passer : on cherche à prendre la meilleure décision en moyenne, ou en maîtrisant les risques à un niveau acceptable, compte tenu de ce qui pourrait arriver.

Planifier le système électrique

Au quotidien, les opérateurs énergétiques doivent décider combien d’électricité produire demain, la semaine prochaine ou dans six mois. Ces décisions engagent des ressources (centrales thermiques, barrages, énergies renouvelables…) mais doivent aussi anticiper des événements aléatoires : une vague de chaleur, un prix du gaz qui flambe, une éolienne qui tourne moins vite que prévu…

Par exemple :

  • Une centrale hydroélectrique qui libère de l’eau aujourd’hui modifie la production possible des centrales en aval demain (on parle alors de couplage temporel et spatial).
  • La part croissante des énergies renouvelables, plus difficilement prévisibles, renforce l’importance d’une gestion dynamique et souple de la production.
  • La demande varie selon les saisons, les jours de la semaine, les comportements sociaux…

Dans ce contexte, l’optimisation stochastique permet de créer des modèles mathématiques prenant en compte tous ces éléments, et d’en déduire des stratégies robustes, c’est-à-dire capables de bien fonctionner même si les conditions futures s’avèrent défavorables.

Le Centre de Mathématiques Appliquées, pour aller de la théorie à la pratique

Le Centre de Mathématiques Appliquées (CMA) de Mines Paris – PSL est un acteur reconnu dans le domaine de l’optimisation. Welington de Oliveira y développe des approches qui vont de la théorie d’optimisation mathématique la plus fondamentale à l’algorithmique de pointe. Il contribue également à la communauté scientifique en siégeant au sein des comités éditoriaux de revues prestigieuses dans le domaine de l’optimisation mathématique.

Avec des acteurs industriels du secteur de l’énergie, il mène notamment des projets de thèses CIFRE (Conventions Industrielles de Formation par la Recherche) dans lesquels des doctorants travaillent à l’interface entre science et industrie.  La collaboration entre le monde académique et l’industrie permet de répondre à des questions complexes et concrètes, comme :

  • Comment planifier l’expansion d’un réseau de gaz ou d’électricité dans un contexte incertain ?
  • Comment investir dans les infrastructures énergétiques tout en contrôlant les risques financiers ?
  • Comment modéliser un système aussi vaste qu’une chaîne d’approvisionnement pétrolière ou un réseau de distribution de gaz naturel ?

Une preuve de cette collaboration fructueuse : la publication de Methods of Nonsmooth Optimization in Stochastic Programming,  un ouvrage scientifique coécrit avec Wim van Ackooij, chercheur chez EDF. Ce livre illustre parfaitement le double ancrage de cette recherche, à la fois académique et industriel.

Des algorithmes pour résoudre des problèmes de grande taille

Si les équations de l’optimisation stochastique peuvent être formulées élégamment, leur résolution est une tout autre affaire. Les problèmes sont souvent :

  • Très grands : avec des milliers, voire des millions de variables à prendre en compte.
  • Non convexes : ils peuvent présenter plusieurs « vallées » et « sommets », rendant la recherche d’un optimum global difficile.

Pour relever ces défis, Welington de Oliveira et ses collègues conçoivent des algorithmes spécialisés, capables de garantir des résultats fiables dans des délais raisonnables. Ces méthodes sont dites « avec garantie de convergence » : elles assurent que, même dans un environnement complexe, on finira par s’approcher de la meilleure solution possible.

Les mathématiques pour une recherche à double impact, science et industrie

L’intérêt de ce travail ne se limite pas à la performance des algorithmes. Il réside surtout dans l’impact concret sur la stratégie énergétique d’un acteur comme EDF. Grâce à ces outils, il devient possible de :

  • Mieux anticiper les pics de consommation ou de production.
  • Optimiser les investissements dans de nouvelles infrastructures.
  • Réduire les coûts liés aux incertitudes.
  • Renforcer la robustesse des décisions face à l’évolution climatique ou géopolitique.

Le projet porté par Welington de Oliveira illustre parfaitement l’approche de Mines Paris – PSL à l’occasion du Mines Paris Research Day : valoriser une recherche combinant excellence académique et concrétisation industrielle. En articulant les savoirs mathématiques les plus avancés avec les besoins réels de l’industrie, cette collaboration avec EDF constitue une preuve du potentiel des recherches à double impact.

L’optimisation stochastique n’est pas une discipline abstraite réservée aux seuls mathématiciens. C’est un levier essentiel pour bâtir les systèmes énergétiques de demain, capables de répondre à des défis toujours plus nombreux et incertains.


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