Voir le vivant autrement : l’intelligence artificielle au service de la biodiversité

Face à l’effondrement de la biodiversité, la communauté scientifique s’accorde sur un constat : il est nécessaire d’outiller rapidement et efficacement la recherche écologique pour inventorier, modéliser et comprendre les dynamiques du vivant. C’est dans ce contexte qu’intervient le travail mené par Étienne Decencière et son équipe au sein du CMM, qui explore les possibilités de la vision par ordinateur – une branche de l’intelligence artificielle – pour soutenir la transition écologique.
La vision par ordinateur, c’est la capacité d’un système informatique à « voir » et à analyser automatiquement des images. Cette technologie est déjà utilisée dans de nombreux domaines : véhicules autonomes, sécurité, imagerie médicale… Elle offre aujourd’hui un potentiel inédit pour l’étude de la biodiversité.
Les applications de la vision par ordinateur dans le suivi de la biodiversité sont multiples. À partir d’images issues de microscopes, caméras fixes, drones ou même radars, les algorithmes peuvent :
Ces fonctions permettent d’obtenir des données à grande échelle, plus rapidement et avec une précision croissante. Plusieurs exemples concrets, issus de travaux menés avec des partenaires académiques ou industriels, illustrent ce potentiel.
Dans le cadre d’une collaboration avec le CEREEP – Ecotron Île-de-France (CNRS), une campagne d’étude sur 16 lacs artificiels a permis de collecter des échantillons d’eau contenant des micro-organismes. Grâce à la microscopie, des centaines de milliers d’images ont été générées. Mais les classifier manuellement est un travail titanesque. L’intervention du CMM a pour but de développer des algorithmes capables de reconnaître automatiquement différentes espèces de plancton, en dépit de leur grande variabilité morphologique.
Avec l’Université de Toulouse, l’École Pratique des Hautes Études (EPHE – PSL) et le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), l’objectif est ici de suivre des individus en semi-liberté. L’IA apprend à reconnaître les individus, un défi particulièrement ardu compte tenu des faibles différences morphologiques entre eux. Les résultats obtenus, bien que perfectibles, ouvrent la voie à une approche de suivi automatisé des populations.
Les bourdons constituent un marqueur précieux de l’état de santé d’un écosystème. Certains travaux menés avec l’Institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris s’intéressent aux ailes de bourdons. Les motifs formés par les intersections des nervures alaires sont spécifiques à chaque espèce. En automatisant la détection de ces motifs sur image, le temps d’identification est considérablement réduit. Avec un taux de réussite de 97 %, cette méthode pourrait soutenir de nombreux programmes de surveillance des pollinisateurs.
Avec EDF, des caméras acoustiques (semblables à l’échographie médicale) sont placées près des rivières pour suivre les migrations de saumons et anguilles. L’analyse des vidéos permet d’identifier les espèces en fonction de leurs mouvements. Une thèse est prévue pour approfondir cette approche.
Malgré ces avancées, les défis techniques restent nombreux :
Ces verrous sont au cœur des réflexions menées avec les partenaires de la chaire AI4Biodiversity, qui vise à rendre ces outils accessibles aussi aux entreprises, dans une logique d’impact sociétal et environnemental.
L’ensemble de ces travaux s’inscrit dans une dynamique résolument interdisciplinaire. À l’intersection de la biologie, de l’écologie, de l’informatique, de l’ingénierie et des mathématiques, ils mobilisent un large réseau de partenaires.
C’est précisément cette fertilisation croisée que promeut TTI.5 : penser ensemble, avec rigueur et imagination, des réponses systémiques à l’urgence climatique. Grâce à la vision par ordinateur, Mines Paris – PSL contribue à renouveler notre regard sur le vivant, et à rendre visible, mesurable et intelligible la complexité du monde naturel.
Comment comprendre, mesurer, modéliser ou accompagner les dynamiques du vivant dans un monde en transition ? Face aux bouleversements climatiques et é...