Une guerre de transformation : nouveaux conflits, nouvelles exigences
La défense n’est plus l’affaire exclusive des champs de bataille traditionnels. Les conflits d’aujourd’hui — et de demain — sont hybrides, cyber, informationnels. Ils engagent non seulement des armées, mais des sociétés entières, à travers des logiques économiques, numériques et cognitives.
Il ne suffit pas de produire des drones : encore faut-il pouvoir les produire rapidement, en masse, et en toute autonomie. Les priorités ne sont donc pas uniquement technologiques : elles sont industrielles, logistiques et stratégiques. »
Laurent Vieste, Ingénieur général de l’armement et Chef du pôle Stratégie et technologies de défense de l’Agence de l’innovation de défense (AID)
Du côté industriel, Pierre Schanne, au sein de Thales, observe que le retour de la guerre de haute intensité rebat les cartes. L’émergence quasi quotidienne de nouveaux théâtres d’affrontement, ou encore l’occupation de nouveaux espaces comme la très haute altitude ou les grands fonds marins, peu régulés et propices à des innovations stratégiques, pousse à reconsidérer l’importance de rester à la pointe dans les domaines de souveraineté. Capteurs quantiques, cybersécurité, guerre électronique, IA défensive… l’innovation, couplée aux alliances internationales, notamment à l’échelle européenne, pourrait permettre de combler les retards sur un certain nombre de technologies et de production industrielle.

Prototype de drone ukrainien R18.
Université, industrie, armée : un écosystème de confiance
L’un des tournants majeurs de ces dernières années réside dans la montée en puissance des universités comme actrices centrales de l’innovation de défense. Loin d’un cloisonnement entre recherche académique et besoins opérationnels, les liens se renforcent pour créer des synergies créatrices de solutions nouvelles.
Aujourd’hui, ce ne sont plus seulement les roboticiens ou les spécialistes des matériaux qui sont sollicités : toutes les disciplines sont concernées, des sciences humaines à l’intelligence artificielle. La notion même de “conflit” est devenue une question interdisciplinaire.
Cédric Denis-Rémis, Vice-président Développement Innovation et Entrepreneuriat de l’Université PSL
C’est dans cette perspective que Mines Paris – PSL s’inscrit comme partenaire clé d’un écosystème d’innovation où se côtoient start-ups, grands groupes, armées et investisseurs. Le monde académique devient un « acteur de confiance », capable d’adopter une posture critique, d’interroger les usages des technologies, mais aussi d’accélérer leur transfert grâce à ses structures de valorisation et ses fonds d’investissement, comme ceux mis en place par PSL.
Innover vite, mais penser loin
Comment concilier l’urgence des besoins opérationnels avec les temps longs de la recherche et du développement industriel ? Cette tension structure l’ensemble des actions menées par l’Agence de l’innovation de défense (AID) et s’inscrit au cœur des missions du ministère des Armées, chargé d’articuler ces temporalités contrastées. Il s’agit d’une double exigence : anticiper les ruptures technologiques tout en apportant des réponses concrètes aux besoins immédiats des forces. Dans ce cadre, la capacité d’adaptation s’impose comme une nécessité, à la fois technique et organisationnelle.
Dans une logique industrielle, Thales déploie des approches numériques de simulation avancée pour concevoir plus rapidement des architectures complexes et tester des lignes de production virtuelles. Ces méthodes sont décisives pour répondre à la logique d’« économie de guerre », exprimée par les plus hautes autorités de l’État.

Projet Space Smart Factory de Thales Alenia Space, au Technopôle Tiburtino de Rome. L’édifice abritera le Space JOINTLAB, un espace d’innovation et de travail collaboratif avec des PME et centres de recherche, une usine de 21 000 m2 comprenant des salles blanches reconfigurables sur 5000 m2, des espaces de bureau et de coworking sur 1900 m2 et des zones de servitude.
Une stratégie européenne à construire
Le besoin d’autonomie est au cœur des préoccupations, à l’échelle française comme européenne. Les mécanismes mis en place récemment par l’Union européenne — notamment le Fonds européen de défense (FED) ou les projets pilotés par l’Agence européenne de défense (AED) — sont prometteurs. Cependant, ils doivent encore gagner en cohérence stratégique et en lisibilité pour les industriels et les chercheurs.
On traite de sujets, tels que l’interopérabilité entre systèmes européens, qu’on ne peut pas adresser seul. On découvre de nouveaux partenaires et on noue des liens dans la durée. Des collaborations avec des entreprises ukrainiennes sont même envisagées. Pourtant, il reste des lacunes importantes : il manque une stratégie industrielle réellement partagée, les procédures sont trop complexes, et les financements des États restent incertains.
Pierre Schanne, Directeur des études amont Défense de Thales

De gauche à droite : Laurent Vieste, Ingénieur général de l’armement et Chef du pôle Stratégie et technologies de défense de l’Agence de l’innovation de défense (AID), Pauline Guével, Responsable du Pôle Expertise et Prospective de l’Université PSL, Cédric Denis-Rémis, Vice-président Développement Innovation et Entrepreneuriat de l’Université PSL, et Pierre Schanne, Directeur des études amont Défense de Thales.
L’innovation de défense, un projet collectif
Les mondes institutionnel, industriel et académique, bien que porteurs d’enjeux spécifiques, s’accordent sur un point essentiel : l’innovation en défense doit être pensée comme un écosystème collectif. Cette approche implique des stratégies « duales », à la fois civiles et militaires, ainsi qu’une implication croissante des partenaires privés dans le financement de la recherche. Ce changement s’accompagne d’une évolution culturelle : les grands groupes collaborent désormais plus aisément avec les start-ups, tandis que les universités gagnent en agilité.
Aujourd’hui, ce sont les innovations issues de la recherche civile, en IA, en matériaux, en cybersécurité, en capteurs, qui alimentent les usages stratégiques. Et ce changement de direction nous oblige à repenser nos modèles et nos collaborations.
El Mouhoub Mouhoud, Président de l’Université PSL
Le Pôle universitaire d’innovation (PUI), récemment labellisé et présenté durant le Mines Paris Research Day, incarne cette volonté de décloisonnement entre recherche, innovation et entrepreneuriat. Porté conjointement par PSL et l’École, ce dispositif vise à structurer l’ensemble de la chaîne de valorisation académique — de l’idée à l’impact — en renforçant les passerelles entre laboratoires, start-ups, industriels et institutions publiques. En lien étroit avec les enjeux de souveraineté technologique, le PUI ambitionne de fluidifier l’accès aux compétences scientifiques, d’accélérer le transfert de technologies stratégiques, et d’accompagner l’émergence d’acteurs innovants, y compris dans le domaine de la défense. Il s’agit d’un outil clé pour faire émerger un écosystème agile, capable de répondre aux exigences de rapidité, de sécurité et d’autonomie exprimées par les acteurs du secteur.
Le lien entre recherche académique et innovation dans ces secteurs de la défense et de la sécurité est plus que jamais stratégique pour le pays, pour l’Europe, pour l’École aussi.
Godefroy Beauvallet, Directeur général de Mines Paris – PSL
La flexibilité de production, l’agilité organisationnelle, la transversalité disciplinaire et l’ouverture internationale sont désormais des impératifs. L’enjeu n’est pas simplement technologique : il est sociétal. En misant sur la confiance, la coopération et la capacité à innover ensemble, l’écosystème français et européen de défense peut relever les défis d’un monde en pleine mutation.