Mines Paris – PSL, incubateur d’entrepreneurs : entretien croisé entre Éléonore Crespo, alumna et co-fondatrice de Pigment, et Philippe Mustar, professeur d’Innovation et Entrepreneuriat

À Mines Paris – PSL, l’option Innovation et Entrepreneuriat forme des esprits audacieux capables de repousser les frontières de l’innovation. Parmi ses diplômés, Éléonore Crespo incarne parfaitement cette philosophie. Co-fondatrice de Pigment, une plateforme révolutionnaire de planification financière, elle a levé 145 millions de dollars en avril 2024, propulsant son entreprise au rang de licorne. Dans cet entretien croisé avec Philippe Mustar, son professeur d’Option, Éléonore témoigne de l’impact déterminant de cette formation sur sa trajectoire. Elle partage ses souvenirs, ses apprentissages et les clés de son succès.
L’option m’a apporté la compréhension de ce qu’est la création d’entreprise, de ce que c’est financer ou faire croître une entreprise. Mais surtout, le but était d’apprendre à travailler ensemble, à développer un projet collectif. Philippe nous a donné les clés de l’entrepreneuriat. Grâce à lui, je me suis vraiment rendu compte que c’était ce que je voulais faire dans la vie.
Éléonore Crespo
Eléonore Crespo et Philippe Mustar lors de la remise des diplômes en juin 2012
Je me souviens très bien de la première rencontre avec Philippe, c’était aux mines, j’étais venue passer des entretiens. De la fenêtre de son bureau, on voyait l’appartement du compositeur César Franck et on avait, en autres, parlé de musique. Pour moi ça a été une discussion dont je me rappellerai toujours. Je me rappelle que je m’étais dit : j’espère avoir la chance de pouvoir venir aux mines et être avec ce prof.
Ça allait bien au-delà de l’option Entrepreneuriat, je voyais qu’il avait une vraie passion pour l’enseignement, pour les élèves, pour la culture… Dans les questions qu’il m’avait posées, je sentais une forte volonté d’emmener tout un groupe d’élèves au-delà de la discipline entrepreneuriat, et de les ouvrir au monde, d’en faire des citoyens du monde ; et c’était important pour moi, je venais de l’ENS, une très bonne école mais très théorique. En présentant l’option, il m’avait transmis son énergie communicative.
Et puis j’ai trouvé remarquable que cette école prenne le temps de rencontrer les élèves et de discuter avec eux, ce qui est rare dans les écoles d’ingénieur.
En juin 2010, Eléonore Crespo, élève à l’ENS, souhaite rentrer en 2e année aux mines de Paris, dans l’option Innovation et Entrepreneuriat (cf. ci-dessous). Elle a brillamment réussi les oraux de maths, de physique et de français et, en tant que responsable de l’option à laquelle elle postule, je lui fais passer l’entretien final. Je rencontre une candidate dotée d’une très forte personnalité, très dynamique et qui s’intéresse à la création de start-up dans les biotechnologies, mais aussi à mille autres choses. Convaincu qu’elle apportera beaucoup à l’option mais aussi que cette formation lui sera utile, je la recrute et elle entre à l’École en septembre de la même année.
Oui bien sûr. Il reflète pleinement la richesse et la diversité des expériences que nous incitons nos élèves à explorer. Éléonore est arrivée aux mines juste après un stage au Cavendish Laboratory, le département de physique de l’université de Cambridge (le travail qu’elle y réalisera donnera lieu à la cosignature d’une publication scientifique).
À la fin de leur 2e année, les élèves font un « stage ingénieur » à l’étranger. Éléonore choisit de partir dans un grand groupe, elle opte – nous sommes en 2011 – pour Schlumberger, à Houston, Texas. Dans un service d’ingénierie où elle réalise un travail très apprécié : son rapport de stage fait le double de la norme : 72 pages.
Pour son travail de fin de 3e année, elle opte pour le monde de l’Internet avec Work4Labs, une start-up parisienne du recrutement qui utilise les réseaux sociaux, notamment Facebook. Là, elle s’occupe de stratégie commerciale et de marketing. Excellent travail là aussi puisque l’entreprise lui propose un emploi en marketing à San Francisco. Mais c’est à New-York chez JCDecaux qu’elle choisit de démarrer sa carrière comme chef de projet dans la publicité urbaine. Après deux ans, elle rentre en Europe, chez Google où elle sera analyste de données auprès du CFO de l’entreprise à Londres.
2017, nouvelle aventure, elle rejoint Index Venture, une célèbre société de capital-risque à Londres et San Francisco, et devient investisseuse ; là, elle rentre au board de sociétés telles Slite, Spendesk ou Alan. La suite est connue, elle fait l’objet de nombreux articles de presse : chez Index, Éléonore rencontre un autre mineur, Romain Niccoli, cocréateur et CTO de CRITEO, entreprise dans laquelle Index avait investi. En 2019, Éléonore (P10) et Romain (P97) cocréent et co-dirigent Pigment qui connait très vite une croissance impressionnante.
Ce voyage d’option, je l’ai trouvé formidable ! Philippe l’avait organisé de manière extrêmement intelligente, avec une vraie attention aux détails des choses, des lieux visités, des personnes rencontrées. Tout était très bien pensé. Et surtout, je trouve que nous, les élèves, nous étions traités comme des adultes. Ce n’étaient pas des visites d’étudiants, nous avions des discussions construites avec tous les acteurs : qu’est-ce qu’un entrepreneur ? Qu’est-ce qu’un incubateur ? Qu’est-ce qu’un investisseur ? Qu’est-ce que l’entrepreneuriat à Londres ?
Et puis il nous a fait visiter le Design Museum ou la Saachi Gallery (avec une spécialiste d’art contemporain très pointue). J’avais vraiment adoré ce voyage qui a été un grand moment dans notre vie aux mines où il avait déjà posé les bases de l’entrepreneuriat et montré des réalités qu’on ne connaissait pas du tout.
Mission d’étude de 2e année sur l’écosystème entrepreneurial anglais et ses nouveaux modèles de financement (Londres et Cambridge) en février 2011.
Oui car, pour les raisons dont je viens de parler, ce voyage a forgé le groupe d’optionnaires. Pour moi, tous les gens qui étaient à Londres, ce sont des amis, des amis à vie. Dans l’option, on formait un groupe extrêmement engagé avec des élèves qui savaient pourquoi ils étaient là, qui étaient vraiment motivés. Et d’ailleurs, si on regarde aujourd’hui une photo du groupe à Londres, nous avons presque tous monté une boite, ou dirigé une entreprise, ou travaillé dans la tech ou été investisseur.
En voyage d’études à Londres, février 2011
Une première chose, c’est une connaissance du monde de l’entrepreneuriat. Moi, sortie de l’ENS, je ne savais pas ce que c’était une entreprise, le capital-risque ou un business plan. L’option m’a apporté la compréhension de ce qu’est la création d’entreprise, de ce que c’est financer ou faire croitre une entreprise. Une seconde, c’est d’avoir travaillé sur un projet. Là, il faut savoir travailler ensemble. Être premier de classe ou du classement, ça ne compte plus. Les notes, on s’en moque. Philippe ne nous a jamais parlé de notes, je ne sais même pas quelles notes j’avais, ce n’était pas le sujet. Le but, c’était apprendre à travailler ensemble, de développer un projet collectif… et cela est utile même si tu ne fais pas d’entrepreneuriat.
Et puis, il y avait des super cours parce qu’un entrepreneur a besoin de savoir parler en public, de faire un business plan, de connaitre les premières bases du marketing ou de la vente. Un cours m’avait beaucoup marqué, c’était apprendre à négocier, avec une intervenante épatante ! Il nous avait aussi confrontés à des entrepreneurs qui commentaient et critiquaient nos projets, qui mettaient à mal nos certitudes.
En définitive, Philippe nous a donné les clés de l’entrepreneuriat. En ce qui me concerne, il m’a vraiment donné le goût de l’entrepreneuriat. Grâce à lui, je me suis vraiment rendu compte que c’était ce que je voulais faire dans la vie.
En option Innovation et Entrepreneuriat en 2011
Pendant sa scolarité aux mines et après son diplôme d’ingénieure, Éléonore a toujours montré une formidable capacité d’adaptation à des domaines très différents, en étant à chaque fois capable d’aller assez loin dans leur compréhension. S’il n’y a pas one best way pour devenir entrepreneur, son parcours montre que la création d’une entreprise n’est pas un point de départ, elle est toujours le résultat d’un processus, plus ou moins long, fait d’une accumulation d’expériences plus ou moins variées. Trop souvent les formations à l’entrepreneuriat adoptent un point de vue étroit, focalisé sur la start-up, sa gestion, son organisation, etc. Il me semble nécessaire de « sortir le nez du guidon » et d’encourager la diversité des expériences, soit dans nos cours, soit dans les situations immersives que constituent notamment les stages des étudiants.
Comprendre et résoudre des problèmes dans des organisations variées et des secteurs très différents est une des compétences qui facilite la conduite du processus entrepreneurial. Un processus dont la recherche en entrepreneuriat a montré qu’il ne peut être planifié, qu’il nécessite de nombreuses transformations, qu’il est à chaque fois une expérimentation, qu’il est rempli de décisions à prendre et de choix à faire, qu’il est collectif, et qu’il est aussi, et peut-être d’abord, un processus social (c’est-à-dire fait d’interactions multiples entre des personnes variées). Et sur ce dernier point Eléonore excelle. Il ne s’agit pas seulement d’un talent pour la communication, mais bien d’une capacité d’écoute et de fine compréhension des points de vue de tous ceux qui vont être, d’une façon ou d’une autre, concernés par l’innovation ou le projet en train de se faire.
Remise des diplômes en juin 2012
C’est très important pour moi. Les Anglo-Saxons parlent de « give back ». Nous avons eu droit à un enseignement gratuit d’une qualité extraordinaire pendant des années. Nous nous devons de rendre à l’École ce qu’elle nous a offert. De plus, je suis heureuse de garder contact avec des profs comme Philippe, de comprendre les élèves et leurs préoccupations. Oui, je fais partie du jury de la semaine Entrepreneuriat et j’adore les projets que je vois passer, je comprends de quoi parlent les élèves aujourd’hui, les problèmes qu’ils veulent résoudre. Je trouve ça formidable.
C’est vraiment une immense fierté ! Très vite quand je suis arrivée, je me suis vraiment intégrée à l’École à laquelle je suis restée très liée. Mais, en plus, avoir cette reconnaissance, douze ans après mon diplôme, je ne pensais jamais que ça serait possible. J’imagine que si ce prix existe, c’est parce que l’École aussi est fière d’avoir des élèves qui créent des entreprises qui se développent, ou plus généralement qui se lancent dans des projets qui ont de l’impact. Je trouve qu’avoir ce prix c’est génial et sympa, d’autant plus de l’avoir avec Romain, avec qui il y a eu un mélange intergénérationnel, puisqu’il a été diplômé en 2000.
Romain Niccoli, Eléonore Crespo et Philippe Mustar lors de la remise du prix d’Honneur – Prix Entrepreneuriat Mines Paris PSL – Transvalor 2023
Nous sommes tous les deux co-créateurs et co-CEO de Pigment. Romain s’occupe de tout ce qui concerne le produit, c’est un vrai ingénieur informatique, depuis sa sortie de l’École ; et moi, de tout le reste : le business, les finances, le juridique. Nous apportons chacun notre pierre à l’édifice. Il y a une vraie complémentarité entre nous qui est intéressante pour le projet.
En quelques mots, Pigment est une plate-forme d’aide au management de la performance. Elle aide les équipes financières, RH, ou supply chain d’une entreprise à prendre des décisions basées sur des données. Le contexte macroéconomique est compliqué et les entreprises ont besoin de beaucoup de flexibilité et d’agilité pour contrôler leur performance, pour ajuster leurs plans. Pigment leur apporte cette plate-forme très souple, très simple d’utilisation et en même temps très puissante qui leur permet de gérer, grâce à l’IA, un très grand nombre de données. Aujourd’hui, nous réalisons 60 % de notre chiffre d’affaires aux États-Unis (avec des clients tels Coca-Cola ou Unilever), puis en France (SNCF ou Europcar), en Allemagne, au Royaume-Uni, etc. Pigment, créée en 2019, emploie maintenant près de 500 personnes.
L’option occupe la majeure partie de la 3e année de la scolarité des ingénieurs civils. Elle apporte aux élèves qui la suivent un esprit, des compétences et des connaissances qui les préparent à affronter des situations entrepreneuriales variées. L’option pousse ses élèves à développer leur plein potentiel et à mettre en œuvre les qualités acquises durant leur formation d’ingénieur. L’objectif premier n’est pas que les optionnaires créent une entreprise. Bien sûr, certaines et certains le font pendant leur scolarité ou juste après leur diplôme ; d’autres, après une ou des expériences professionnelles – c’est le cas d’Éléonore – ; enfin, d’autres déploient ces apprentissages pour créer des activités nouvelles au sein d’organisations existantes (PME, ETI, grand groupe, association, etc.), ce qui est aussi une forme d’entrepreneuriat.
Au premier semestre, mon cours démarre par une mission d’une semaine à l’étranger. J’emmène les optionnaires à Londres, en Eurostar, pour rencontrer des acteurs de l’entrepreneuriat : incubateurs, fonds de capital-risque (Éléonore a eu là un premier contact avec ce qui allait devenir un jour son métier) ; à Imperial et à Cambridge, nous rencontrons des start-ups issues de la recherche et les responsables de centres d’entrepreneuriat ; nous arpentons le Design Museum et des galeries d’art contemporain. Puis, pendant six semaines, la formation mêle cours et séminaires avec des enseignants-chercheurs en entrepreneuriat, ateliers avec des professionnels du domaine (avocats, conseils en propriété industrielle, fonds de capital-risque, etc.), rencontres avec des entrepreneurs, visites d’incubateurs et d’accélérateurs. En parallèle à ces apports théoriques et pratiques, les élèves, par groupe de deux ou trois, développent un projet de start-up dans notre espace de coworking, projet qui en fin de semestre est présenté à un comité d’investissement. Au deuxième semestre, les élèves choisissent soit de poursuivre leur projet de start-up et de créer une entreprise (c’est le cas pour le tiers d’entre eux), soit de faire un « travail d’option » dans une start-up existante, un fonds VC ou un acteur de l’écosystème entrepreneurial.
Plus de quarante entreprises ont été créées ou co-créées par des optionnaires. Certaines pendant l’option ou juste après l’obtention de leur diplôme. Là, je peux citer Wander par Maxence Morillon (P20) qui vient d’être diplômé, Le Donjon par Eloi de Cossé-Brissac (P19), Kleep par Théophile Bousquet (P18) et Federico Fortis (P18), Cartage par Oscar Bourgeois (P18) et Raphaël Toledano (P18), SpaceFill par Quentin Drillon (P15), Bigblue par Mathias Griffe (P14) et William Meunier (P14), Neural Concept par Théophile Allard (P14), Yespark par Thibaut Chary (P11), DNA Script par Xavier Godron (P11), 1year1book et Kaducée par Romain Hill (P07), Nest For All par Khadidiatou Nakoulima (P06), etc. D’autres ont été fondées par des optionnaires après quelques années d’expérience professionnelle : Sakana par Baptiste Mangel (P17), Kamea Labs par André Dibé (P16), PayFlow par Benoit Menardo (P12), Mojo par Jean Patry (P10), BloomFlow par Thomas Girard (P09) et Ghislain de Juvigny (P11), Cuure par Jules Marcilhacy (P09), Ecotable par Camille Delamar (P08), Lovebox par Jean Gregoire (P08), Skopeon par Claire Dellatolas (P06), etc. Et bien sûr, d’autres remarquables entreprises sont le fait d’ingénieurs diplômés de l’École qui n’ont pas suivi l’option Innovation et Entrepreneuriat, et dont j’ai, pour certaines, eu le plaisir de suivre la création et le développement.
Le parcours d’Éléonore Crespo illustre avec brio l’ambition de l’option Innovation et Entrepreneuriat : offrir aux élèves un véritable tremplin pour explorer, innover, entreprendre et avoir un impact sur la société. À travers des enseignements théoriques et pratiques, un accompagnement personnalisé et une ouverture sur le monde, Mines Paris – PSL continue à former les leaders et les entrepreneurs de demain.
L’entrepreneuriat à Mines Paris – PSL
L’édition 2024 du Prix Entrepreneuriat Mines Paris – PSL, en partenariat avec Transvalor, mécène de l’évènement, s’est tenue ce mardi 12 novembre sur ...