Aérogels

Le Centre PERSEE via son groupe de recherche MATPRO travaille sur les matériaux de type aérogels depuis les années ’90. Il a développé une expertise unique sur cette classe fascinante de matériaux nanostructurés [1], de leur synthèse à leur étude applicative sous forme de composants (pour la superisolation thermique, la conversion ou le stockage d’énergie) en passant par la caractérisation de leurs propriétés. Aujourd’hui encore les recherches menées dans le groupe sur ces matériaux demeurent l’un des axes forts et différenciants de notre Centre.

Les aérogels en bref

Procédé d’élaboration et principales caractéristiques

Les aérogels sont des matériaux issus de la chimie douce. Ils sont obtenus par séchage contrôlé de gels nanostructurés et mésoporeux synthétisés par voie sol-gel. Leurs propriétés sont établies en solution ; le séchage veillant à préserver l’intégrité morphologique du gel. La plupart du temps l’étape de séchage doit s’effectuer en conditions supercritiques.

Les aérogels sont généralement ultraporeux et très légers. Leur grande surface spécifique (plusieurs centaines de m² par gramme) leur a valu d’être étudiés à l’origine dans le domaine de la catalyse. En fonction de leur texturation interne et de leur nature chimique, ils développent de nombreuses autres propriétés physiques particulièrement intéressantes, notamment vis-à-vis d’applications dans la sphère énergétique. Etudiée depuis les années ’30 aux Etats-Unis puis en Europe et enfin à échelle mondiale, cette famille de matériaux innovants a été identifiée comme l’une des dix technologies émergentes par l’IUPAC en 2022 (section Chimie).

De la conservation à la conversion de l’énergie

Les premiers travaux conduits au Centre se sont concentrés sur les aérogels de silice pour la superisolation thermique avec le soutien de l’ADEME et de la Commission européenne, en partenariat avec le CSTB, l’université Claude-Bernard Lyon 1, la société PCAS et les universités danoises et norvégiennes DTU et NTNU. Ces travaux fondateurs ont rapidement été étendus aux aérogels de carbone (et aux aérogels organiques dont ils sont issus) pour des applications de type supercondensateurs puis électrodes de piles à combustible. Aujourd’hui nos recherches portent sur de nombreuses autres familles (oxydes métalliques de type TiO2 et SnO2, polyuréthane, aérogels biosourcés à base de pectine en collaboration avec le CEMEF et plus récemment, aérogels métalliques). De nouvelles applications émergentes sont étudiées au Centre (photo-réduction du CO2, production d’hydrogène bas carbone, …).


 

Isolation par aérogel de silice

Superisolants thermiques pour les enveloppes  faiblement déperditives

Des besoins patents

Dans de nombreux secteurs la maitrise des déperditions thermiques reste un enjeu stratégique. Aussi bien vis-à-vis du changement climatique (secteur du bâtiment, …) que de l’efficacité énergétique (véhicules électriques, semiconducteurs, …). Les isolants traditionnels ayant atteint leurs limites physiques, les évolutions attendues passeront par le développement de nouveaux composants d’isolation (par exemple ayant recours aux technologies du vide) et/ou de matériaux plus performants.

Des atouts évidents

Certains matériaux aérogels représentent en puissance une partie de la solution[2]. C’est typiquement le cas des aérogels de silice. Leur mésoporosité permet de confiner l’air (par effet Knudsen) et de réduire à la portion congrue la part de conduction gazeuse. La nanostructuration et la tortuosité de leur squelette, combinées à leur très faible masse volumique (de l’ordre de 0.1 g/cm3) et à la conductivité intrinsèquement faible de la silice, sont autant de facteurs qui concourent à réduire drastiquement la conduction solide. A température ambiante les aérogels sont les solides les plus isolants connus, avec des niveaux de conductivité thermique qui peuvent désormais atteindre 12 mW/m.K.

Il y a plus de 30 ans, le Centre a initié ses travaux sur la superisolation thermique en se concentrant sur les aérogels de silice. Il a progressivement étendu ses recherches aux aérogels organiques puis aux aérogels biosourcés.

 

Les silices superisolantes

Les travaux originels

Au vu des enjeux énergétiques, les recherches originelles se sont focalisées sur les enveloppes de bâtiment. Nos premiers travaux – menés en collaboration avec AIRGLASS, précurseur suédois du domaine – ont porté sur le développement d’aérogels de silice monolithiques de grandes dimensions, superisolants et transparents, pour les doubles-vitrages à isolation renforcée. Malgré de très bonnes propriétés thermiques et optiques (facteurs de transmission U = 0.5 W/m².K et g = 0.7), le caractère batch du procédé et la nature supercritique du séchage n’ont pas rendu possible un développement à plus grande échelle.

Ou comment s’affranchir du séchage supercritique

Nous nous sommes alors employés à requestionner le procédé pour développer une alternative au séchage supercritique. Nos travaux sur la fonctionnalisation de la surface des pores du gel de silice, en plus de rendre hydrophobe le matériau sec, ont permis de produire des silices superisolantes par simple séchage évaporatif en conditions ménagées [3]. Le brevet issu de ces travaux est à la base de la création en 2010 de la start-up ENERSENS, spin-off de la société PCAS, l’un de nos partenaires historiques. Sous forme granulaire ces matériaux ont été étudiés pour des applications dans le domaine de l’ITE (isolation thermique par l’extérieur). La collaboration avec la société PAREXGROUP a permis de mettre au point un mortier d’enduit extérieur 100% minéral, présentant une conductivité thermique nettement plus faible que les meilleurs produits commerciaux.

De nouveaux composites

Ces recherches ont également donné lieu à des travaux sur les blankets de silice (matériaux superisolants adaptés à d’autres systèmes applicatifs au vu de leur caractère flexible) [4] et le renforcement mécanique des matrices par des technologies de type composites (dispersion contrôlée de fibres courtes) [5]. Ou comment allier conductivité thermique extrêmement faible et propriétés mécaniques augmentées.

Aujourd’hui l’un des principaux enjeux de la filière concerne l’amélioration globale de la chaine d’élaboration afin de réduire le cout du matériau final.

Les superisolants organiques et biosourcés

Du minéral à l’organique

Basé sur des intrants chimiques plus abordables, le recours au sol-gel organique peut potentiellement permettre de réduire le cout d’élaboration tout en améliorant les propriétés mécaniques. C’est dans cet objectif que nous nous sommes concentrés sur le développement d’aérogels de polyuréthane [6]. Les conductivités thermiques atteintes s’avèrent du même ordre que celle des aérogels de silice, le comportement mécanique étant pour sa part significativement plus adapté aux contraintes attendues.

Vers plus de biosourcé

Au-delà du seul aspect économique, pour une adoption plus large par le secteur industriel et une meilleure acceptation sociétale, les matériaux – tout particulièrement ceux de grande diffusion – doivent, de manière générale, désormais plus et mieux intégrer les dimensions environnementale et sanitaire. Forts de ce constat nous avons orienté nos recherches en ce sens en substituant le polyol réticulant classique par une macromolécule cellulosique, l’acétate de cellule (projet ANR NANOCEL 2010-2013), œuvrant ainsi « au verdissement » concret des polyuréthanes sol-gel superisolants [7]. La performance thermique reste excellente et les propriétés mécaniques sont encore meilleures. Evidemment le recours aux isocyanates demeure …

Notre collaboration avec le CEMEF

Durant la dernière décennie un nouveau champ de recherche s’est ouvert autour des aérogels biosourcés (cellulose, alginate, amidon, lignine, …). C’est dans ce contexte que le CEMEF (MINES Paris – PSL), avec qui nous collaborons depuis le début des années 2000 (projet européen AEROCELL 2004-2007), a mis au point des aérogels superisolants entièrement à base de pectine. Cette prouesse ouvre la porte aux superisolants du futur. Toutefois ces matériaux sont hydrophiles et de surcroit nécessitent (à l’instar des aérogels de polyuréthane) un séchage dans les conditions supercritiques. Améliorer la tenue thermo-hydrique des pectines superisolantes est indispensable pour maintenir leur morphologie et leur conductivité thermique dans la durée (thèse Eleni Effraimopoulou, 2022 – 2025) ; s’affranchir du séchage supercritique est un passage obligé pour réduire les couts et conférer à ses nouveaux matériaux une viabilité économique. Il s’agit des deux verrous majeurs auxquels les Centres PERSEE et CEMEF se sont attelés [8].

Les aérogels pour le stockage et la conversion d’énergie

Les aérogels trouvent également des applications en catalyse, là où leur morphologie contrôlable à loisir lors de la synthèse apparaît comme un atout majeur. C’est notamment le cas dans les dispositifs de conversion électrochimique comme les piles à combustible ou les électrolyseurs.

D’une part, la porosité (volume poreux et distribution de tailles de pore) modulable des aérogels peut être ajustée aux besoins spécifiques de transport de matière, liquide et/ou gaz, dans le volume des électrodes concernées.

D’autre part, leur grande surface spécifique permet une répartition surfacique adaptée des nanoparticules de catalyseur optimisant la densité de sites actifs au sein des électrodes.

Leur morphologie spécifique en fait également des candidats de choix comme matériaux d’électrode pour les batteries ou les supercondensateurs.


 

Les aérogels de carbone

Utilisés comme matériaux d’électrode, les aérogels doivent être de bons conducteurs électroniques. Nos recherches ont ainsi débuté sur les aérogels de carbone, dans le cadre d’une collaboration avec SAFT sur les électrodes de supercondensateur et avec Renault, sur les supports de catalyseurs comme alternative aux noirs de carbone à la cathode des piles à combustible à membrane échangeuse de protons (PEMFC).

De la réduction de la charge en platine dans les PEMFC, l’objectif s’est déplacé vers la mise au point de catalyseurs sans platine et le dopage des aérogels de carbone pour introduire des sites actifs intégrant fer et azote. Des résultats prometteurs ont ainsi été obtenus au cours du projet européen PEGASUS (2018-2021) auquel le groupe a participé en tant que partenaire académique.

Aujourd’hui les travaux se poursuivent d’une part avec Safran sur le développement d’électrodes de batteries Li-ion et d’autre part dans le cadre d’un projet bilatéral franco-allemand, IDEAS (2024-2027) avec la mise au point de supports de nickel pour les cathodes d’électrolyseurs alcalins à membrane (AEM).

En parallèle nous travaillons ici aussi au « verdissement » de ces matériaux, synthétisés classiquement à partir de résorcinol et formaldéhyde, en proposant de nouveaux précurseurs plus respectueux de l’environnement.

Les aérogels d’oxydes métalliques dopés

 

A l’anode des électrolyseurs à membrane échangeuse de protons (PEMWE), le potentiel dépasse 1.8 V en fonctionnement, ce qui rend impossible l’utilisation de carbone, instable à ce niveau de potentiel. Pour pouvoir développer un catalyseur supporté moins riche en iridium (métal plus rare et plus cher que le platine) en remplacement de l’oxyde d’iridium aujourd’hui utilisé à l’état « massif » sous forme de microparticules, il convient de proposer des supports à la fois stables et conducteurs électroniques.

Les recherches menées dans le groupe se sont ainsi étendues aux aérogels d’oxydes métalliques dopés (TiO2 :Nb ou SnO2 :Sb, Ta) comme supports de nanoparticules d’oxyde d’iridium (projets ANR MOISE (2018-2021), européen PRETZEL (2018-2021) et PEPR H2 décarboné MATHYLDE (2022-2026).

Le groupe travaille également à la mise au point de photocatalyseurs à base d’aérogels de TiO2 codopés Nb et N pour la production d’hydrogène bas-carbone ou la réduction du CO2.

Les aérogels métalliques

A l’anode des électrolyseurs alcalins, pas besoin d’iridium, le nickel est suffisamment actif. La nanotexturation du catalyseur reste un enjeu majeur pour optimiser les transports de matière et la densité de sites actifs. Le groupe vient de déployer dans ce cadre son activité sur la synthèse d’aérogels métalliques à base de nickel pour les électrolyseurs alcalins à membrane (projet IDEAS 2024-27).


Pour en savoir plus…

Publications citées dans cette page:

  1. Arnaud Rigacci, Tatiana Budtova, Irina Smirnova. « Aerogels: a fascinating class of materials with a wide potential of application fields », Journal of Sol-Gel Science and Technology, Springer Verlag, 2017, 84 (3), pp.375-376
  2. J. Wernery, A. Rigacci, P. Achard, M. Koebel, Aerogels for Superinsulation in Handbook of Aerogels, M.-A. Aegerter et al (Eds.), Springer Verlag, 2023, 1263 – 1288
  3. A. Bisson, E. Rodier, A. Rigacci, D. Lecomte, P. Achard , “Kinetic study of evaporative drying of treated silica gels”, Journal of Non-Crystalline Solids 350 (2004) 230-237
  4. Mohamad Ibrahim, Kévin Nocentini, Marina Stipetic, Sebastian Dantz, Francesco Guiseppe Calazzo, Hasan Seayegh, Lorenza Bianco, Multi-field and multi-scale characterization of novel super insulating panels/systems based on silica aerogels: thermal, hydric, mechanical, acoustic, and fire performance, Building and Environment, 2019, 151, p. 30-42
  5. Julien Jaxel, Gediminas Markevicius, Arnaud Rigacci, Tatiana Budtova. Thermal superinsulating silica aerogels reinforced with short cellulose fibers, Composites Part A: Applied Science and Manufacturing 103 (2017) 113-121
  6. R. Pirard, A. Rigacci, J.C. Maréchal, P. Achard, D. Quenard, J.P. Pirard, “Characterization of porous texture of hyperporous polyurethane based xerogels and aerogels by mercury porosimetry using densification equation”, Polymer 44 (2003) 4881 – 4887
  7. F. Fischer, A. Rigacci, R. Pirard et al., Cellulose-based aerogels, Polymer, 2006, 47 (2006), 7636-7645
  8. Eleni Effraimopoulou, Julien Jaxel, Tatiana Budtova, Arnaud Rigacci, « Hydrophobic modification of pectin aerogels via chemical vapor deposition », Polymers 16 (2024) 1628

Autres publications:

Guillaume Ozouf, Gwenn Cognard, Frédéric Maillard, Marian Chatenet, Laure, Guétaz, Marie Heitzmann, Pierre-André Jacques, Christian Beauger, Sb-Doped SnO2 Aerogels Based Catalysts for Proton Exchange Membrane Fuel Cells: Pt Deposition Routes, Electrocatalytic Activity and Durability, Journal of the Electrochimical Society 165 (6) F3036-F3044 (2018)

Luis Sola-Hernandez, Fabien Claudel, Frédéric Maillard and Christian Beauger, Doped tin oxide aerogels as Oxygen Evolution Reaction catalyst supports, International Journal of Hydrogen Energy,  volume 44, issue 45 (2019)  24331-41 (doi: 10.1016/j.ijhydene.2019.07.152)

Christian Beauger, Laetitia Testut, Sandrine Berthon-Fabry, Frédéric Georgo, Laure Guétaz, Doped TiO2 aerogels as alternative catalyst supports for Proton Exchange Membrane Fuel Cells: a comparative study of Nb, V and Ta dopants, Microporous and Mesoporous Materials, 232 (2016) 109-118

Mathilde Ouattara-Brigaudet,  Sandrine Berthon-Fabry, Christian Beauger, Patrick Achard, Correlations between the catalytic layer composition, the relative humidity and the performance for PEMFC carbon aerogel based membrane electrode assemblies, International Journal of Hydrogen Energy 39 (2014) 1420-1429